Prix Jean-Pierre-Lizotte 2019
Meilleure chronique libre
La chaudière placée à côté de mon lit est pleine d’excréments et je suis au carrefour du désespoir de ma vie. Le taxi avec qui je faisais affaire pour aller chercher mon alcool me coûte cher, mais pas autant que le livreur de coke qui vient quotidiennement chez moi. Ça ne peut plus durer. Voilà l’état d’esprit dans lequel j’étais au moment d’arrêter de consommer.
Pour arrêter de consommer, ça prend un bas-fond comme je le disais dans un texte intitulé Sous l’emprise de la dame blanche (L’Itinéraire, 1er janvier 2019, page 23). Alors voilà comment les choses se sont passées. J’étais debout dans mon lit quand mon mari m’a donné un coup de poing sur le côté de la tête. Mon corps a heurté violemment un meuble antique. Six disques sont alors sortis de ma colonne vertébrale.
Quelques mois plus tard, après ma séparation, le Centre d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC) m’a prise en charge. J’étais en attente d’une opération, une double discectomie. Alitée, désespérée et seule, j’ai soudain pris conscience que j’avais un problème de consommation.
Sortir de l’enfer
Plus rien, ni personne ne pouvait me sortir de cet enfer. Je ne pouvais plus continuer, mais comment arrêter ? L’obsession de la coke et de l’alcool était si forte… C’est à ce moment que je fais une promesse: « Mon Dieu, Allah, Bouddha, Krishna, n’importe quel dieu, si tu existes, fais quequ’chose. Et si tu me sors de là (du lit), je te promets que je ferai tout ce qui est en mon possible pour arrêter de consommer ! »
Une dizaine de jours plus tard, l’hôpital m’a téléphoné pour enfin m’opérer. Trois semaines après ma sortie, j’ai posé des gestes. J’ai rencontré des personnes qui étaient comme moi, des toxicomanes en voie de rétablissement. Après quelques mois de vaines tentatives, j’ai compris que je devais arrêter toutes les substances qui altéraient mon comportement.
Durant les deux premières années, je ne suis pas parvenue à rester sobre plus de 30 à 40 jours. J’ai persévéré. Un élément déclencheur est survenu. J’ai vécu une forme de réveil spirituel. J’ai complètement perdu l’obsession de consommer. Au même moment, j’ai cessé l’alcool et la morphine. La douleur physique s’est emparée de mon corps tandis que la douleur mentale a fait irruption.
Capable toute seule
Puis, j’ai lâché prise sur le « j’capable tu seul ». Plein de ressources ont été mises sur mon chemin. J’ai évidemment fait de nombreuses démarches et réalisé des actions concrètes pour traiter mon choc post-traumatique. La CAVAC, la psychothérapie, la méditation, et une thérapie basée essentiellement sur l’anxiété m’ont aidée à avancer encore davantage.
Avec le temps — quatre ans pour être plus précise — mon médecin a finalement trouvé une médication adéquate qui m’a permis de retrouver un certain équilibre mental. Dans mon cas, ma sérotonine ne faisait plus sa job. J’ai dû m’adapter aux antidépresseurs.
Ma petite famille
Ma toxicomanie a fait beaucoup de dommages côté famille, mais le plus difficile de mon rétablissement a été de me pardonner les erreurs du passé, d’épousseter la garde-robe des regrets, de demander pardon à mes proches et de réparer mes torts, dans la mesure du possible.
Ma relation avec mes parents — qui sont ensemble depuis 52 ans — demeure fragile. La personne que j’ai la plus blessée dans ma consommation, c’est mon fils. Il est un adulte aujourd’hui, cependant il garde encore énormément de ressentiment à mon égard.
Je n’ai pas de contact avec lui pour le moment mais je garde espoir. Les liens que j’entretiens avec ma belle-fille et ma petite-fille sont précieux. Je les vois régulièrement et c’est grâce à ma sobriété que je peux mettre mes priorités émotionnelles et financières de l’avant.
Depuis huit ans, ma vie va de mieux en mieux. Rien n’est parfait. Les liens que j’ai tissés avec les ressources, mes nouveaux amis, les clients du magazine, et la grande famille de L’Itinéraire sont essentiels à mon bien-être et à ma santé mentale.
Je continue chaque jour à m’inspirer des auteurs tels que Marie-France Hirigoyen, Wayne Dyer, Boris Cyrulnik et Bill Wilson. Tranquillement je défais les nœuds de mon esprit, je marche vers une nouvelle vie et un nouveau bonheur.