Apprendre gratuitement dans un cadre convivial, c’est la promesse de l’université populaire, un concept né en France qui remporte un succès croissant au Québec.
La nouvelle vague de l’intelligence artificielle, les mythes et réalités de l’hypnose, les batailles d’internet ou l’anti-spéculation foncière sont autant de sujets qui rassemblent, certains soirs de semaine, une faune hétéroclite avide de connaissances.
Que ce soit à Québec, Rouyn-Noranda, Saguenay ou Montréal, la recette de l’université populaire est toujours la même : proposer des séries de cours gratuits dans les bars, cafés, théâtres ou librairies de la ville, en vertu de la démocratisation des savoirs.
Sans coûter un sou
Au diable les coûts universitaires exorbitants, les demandes d’admission, les inscriptions, les factures et même les diplômes : les objectifs de l’université populaire sont ailleurs. « Au départ, l’idée derrière le projet était de diffuser des connaissances et d’amener le public à aborder des enjeux sociaux et politiques à l’extérieur des cadres habituels, explique Frédéric Legris, professeur de philosophie au cégep de Saint-Jean-sur-Richelieu et co-fondateur de l’UPop, seule université populaire de Montréal. La plupart des gens ne font pas de philosophie et ne cultivent pas leur pensée critique. Nous voulions les amener à le faire ».
Fondée en 2010, l’UPop s’est donnée pour mission de transmettre des savoirs gratuitement. « Partager librement la connaissance, pour nous, c’est primordial, affirme M. Legris. S’il y a un prix d’entrée, cela freine la participation et donc détruit toute la philosophie du projet. »
Sortir des salles de classe
Mais le coût n’est pas le seul frein que l’université populaire cherche à contourner. Pour les fondateurs de l’UPop, l’ambiance austère d’un cours magistral constitue une autre barrière à l’entrée.
Pour y faire face, ces passionnés d’éducation populaire ont opté pour une formule plus interactive en instaurant un cours d’une heure et une discussion d’une heure, loin des lieux scolaires. « Ce que viennent chercher les gens ce sont des informations, une réflexion, mais aussi une communauté, poursuit M. Legris. Bien que complémentaire aux universités traditionnelles, l’université populaire est plus ouverte, plus flexible, plus inclusive. Elle permet à des gens de différents milieux de réfléchir ensemble. »
Pour lui, la disposition matérielle y est pour beaucoup dans l’ambiance singulière qui règne dans ces cours. « Il y a beaucoup de possibilités dans les lieux alternatifs que nous occupons pendant nos cours. On peut installer les chaises en cercle. Les gens peuvent s’assoir ou rester debout, boire une bière ou manger des nachos. C’est totalement différent d’une salle de classe. Cette liberté d’action change la dynamique et crée une atmosphère plus relaxe, plus chaleureuse. »
Pour certains, la liberté qui règne dans ces cours est aussi une manière de reprendre goût aux études. « Plus on va à l’UPop, plus on a le goût d’apprendre. L’UPop se veut un tremplin, un stimuli, un accélérant », se réjouit Frédéric Legris.
Une manière de découvrir une multitude de disciplines ou, pour certains, de compléter un cursus plus traditionnel. « Je remarque que certains membres de notre public viennent à nos sessions pour compléter les cours qu’ils suivent à l’université, observe Bruno Dubuc, l’un des organisateurs de l’UPop. En général, ils sont dans le début de la vingtaine et apprécient notre manière un peu décalée d’aborder des disciplines telles que les neurosciences. »
Un public variable
En fonction des sujets débattus, l’université populaire attire une clientèle spécifique dont le nombre fluctue. « En fonction du thème du cours, nous savons que nous allons attirer plus ou moins de monde, continue Bruno Dubuc. Par exemple, avec un cours sur le cerveau ou sur l’intelligence artificielle, nous pouvons attirer jusqu’à 150 personnes. D’autres cours plus spécifiques comme celui sur l’anti-spéculation foncière va plutôt attirer une quarantaine de personnes. »
Un public varié, mais plutôt fidèle : « Il y a des gens qui venaient déjà il y a quatre, cinq, six ou même sept ans, et qui reviennent encore avec leurs amis », se réjouit Frédéric Legris.
Organisme à but non lucratif, l’UPop ne dispose que de fonds limités. Impossible, dans ces conditions de faire de la publicité. Mais l’équipe sait qu’elle peut compter sur le bouche-à-oreille. « Il arrive qu’un participant invite son neveu ou sa grand-mère. Alors on a un public de tout âge. Avoir un public très diversifié, en termes d’âge, mais aussi en termes de revenus et d’origine ethnique, c’est une grande richesse. »
L’Upop de Montréal en chiffres
25 lieux
100 cours
475 séances
170 professeurs
17 000 participant.es
upopmontreal.com
Origines françaises
Au Québec, il faudra attendre 2007 pour voir le concept d’université populaire émerger. Cette année-là, une importante grève étudiante mène à la création de l’UPAM (Université populaire à Montréal) : à cette occasion, 80 activités, dont de nombreux cours, sont organisées gratuitement. Peu à peu, le concept grandit et plusieurs universités populaires voient le jour, dont celle d’Hochelaga-Maisonneuve, qui a organisé des formations de 2008 à 2012.
Pourtant, le concept ne date pas d’hier. En France, les prémisses de l’université populaire remontent à la fin du 19e siècle, époque à laquelle la notion d’instruction publique et gratuite se popularise dans le pays. Dans les années 1930, les luttes sociales et la volonté d’éduquer les classes ouvrières contribuent à ancrer l’université populaire dans la culture alternative française.
Ce sera seulement à partir de 2002, avec la création de l’Université populaire de Caen par le philosophe Michel Onfray que le concept se popularisera en France, en dehors des milieux militants.
Des défis
Françoise Bressat-Blum est professeure de lettres. En 2005, elle a fondé l’Unipop de Lyon. Pour elle, les défis de l’université populaire sont encore nombreux. Parmi eux, la difficulté à transformer le public en acteur de changement : « Le public s’exprime fort peu en dehors des cours ; il semble qu’il cherche surtout du savoir accessible et une occasion d’échanger. Mais il reste très consumériste et peu enclin à s’investir une fois la séance terminée ».
Autre enjeu, l’attraction d’un public varié. « Au début, le public était majoritairement âgé et politisé ; essentiellement militant et gauchiste. Depuis, il s’est beaucoup diversifié et a considérablement rajeuni, explique Mme Bressat-Blum. Pour autant, nous savons très bien que les barrières culturelles et sociales écartent un grand nombre de gens. Alors nous essayons de nous diversifier, en proposant des ateliers interactifs en petit groupe, des expériences théâtrales ou un cabaret poétique, afin d’attirer un autre public. »
En revanche, côté intervenants, cette universitaire s’étonne encore du succès dont jouit son projet auprès des nouveaux professeurs en début de carrière. « Ces jeunes sont attirés par ce mode d’enseignement ouvert, libre et généreux : chaque année, ils sont nombreux à exprimer leur désir de nous rejoindre. C’est sans doute une des principales réussites de l’Unipop. »
Tous enseignants
Ces jours-ci, l’UPop à Montréal célèbre la fin de sa 15e session. Mais les organisateurs, qui sont tous bénévoles, n’ont que peu de répit : il faut organiser la prochaine saison qui débutera en septembre 2018.
Jusqu’à la fin du mois de mai, ceux qui le veulent peuvent ainsi proposer des cours, directement sur la plateforme du projet. Et pas la peine d’être professeur dans la vie réelle : « Nos intervenants ne sont pas forcément professeurs, explique Bruno Dubuc. Ils peuvent l’être bien sûr, mais nous comptons aussi sur des gens qui sont compétents dans un domaine donné, qui ont une vraie pratique du terrain. »
Pour sélectionner les intervenants, M. Dubuc et le reste de l’équipe s’appuient sur plusieurs années d’expérience en la matière. « En général, on reçoit toujours une ou deux suggestions de cours loufoques. Mais hormis celles-ci, ce sont en général des propositions de qualité. Ce qui détermine notre choix c’est l’expérience des participants, mais aussi la nature des cours. L’idée est vraiment de proposer des cours complémentaires, de la philosophie à l’économie. »
Il faut aussi s’assurer que le ou les « enseignants » sont sérieux et capables d’assurer un suivi. « Un cours donne lieu à plusieurs séances, étalées sur plusieurs semaines. Il faut donc que nos intervenants soient en mesure de se libérer régulièrement. » Le public lui, n’est soumis à aucune obligation. Mais à en juger par les visages souriants et satisfaits qui ponctuent chaque séance, nul doute que le concept d’université populaire a de beaux jours devant lui.
