Au moment de sa rencontre avec L’Itinéraire, Gérard était depuis trois mois dans une Maison Oxygène, un centre d’hébergement et de soutien communautaire pour les pères et leurs enfants, avec sa fille Madison, âgée de 6 ans.

Il a accepté de nous raconter son histoire de paternité, marquée de défis et de bouleversements, qui connaît un certain apaisement grâce au soutien inestimable qu’il reçoit de cet organisme et de ses intervenants dévoués.

Un appel qui change tout

Cariste pour une compagnie de céramique, originaire de la Mauricie, Gérard est tombé en amour avec une femme de Montréal avec qui il a vécu une histoire passionnée. Amoureux, il a emménagé avec elle dans la Métropole. Tout allait bien jusqu’à ce que des amis de la Mauricie l’appellent pour lui dire que sa fille Madison, alors sous la garde de sa mère, était en danger.

« Avant, j’avais ma fille une fin de semaine sur deux. Je ne savais pas trop ce qui se passait là-bas », raconte-t-il.

Rapidement, il a compris qu’il y avait beaucoup de négligence de la part de la mère, qui n’était pas apte à s’occuper de sa fille. La petite n’était notamment pas bien nourrie et souffrait d’infection car elle n’était pas lavée non plus.

Les amis de Gérard ont fait une plainte auprès de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) qui voulait maintenant lui parler. C’est là que Gérard a tout appris. On lui a demandé s’il voulait également porter plainte, il a dit oui. « Je ne voulais pas séparer ma fille de sa mère, mais à un moment donné, je n’ai pas eu le choix. La sécurité de ma fille primait. Deux semaines plus tard, j’avais ma fille chez nous à temps plein. »

Malheureusement, la relation de Gérard avec sa compagne s’est détériorée à partir de ce moment, en raison des besoins particuliers de sa fille. « Mon ex n’était plus capable d’endurer ma p’tite. Ma fille fait des crises, elle a des enjeux que mon ex n’était pas prête à accepter », explique Gérard.

C’est ce qui a mené à la rupture. Il a aussi été obligé d’arrêter de travailler pour s’occuper de sa fille à temps plein, elle qui causait beaucoup d’ennuis à l’école en raison de ses problèmes de comportement. Gérard n’ayant aucune autre famille, il s’est senti pris « au dépourvu » seul avec sa fille, à Montréal. Sans logement, il a rapidement été confronté à la possibilité de se retrouver à la rue.

Photo : courtoisie Maison Oxygène

Une maison comme une bouée

Il a parlé de cette crainte et de celle que la DPJ lui enlève son enfant, le jugeant incapable de s’en occuper correctement, à sa travailleuse sociale qui lui a trouvé une place dans une Maison Oxygène.

En ce lieu, Gérard a trouvé une aide précieuse. « Je suis soutenu à fond. C’est comme une famille ici. À chaque fois que j’ai besoin d’aide ou de soutien avec ma fille, ils sont là. Ils me donnent des conseils, ils m’écoutent si j’ai de la peine. » La maison lui offre même des moments de répit, lui permettant de prendre du temps pour lui-même, car Gérard s’avoue très épuisé depuis que l’entièreté de son
temps est consacrée à sa fille.

Depuis son arrivée, Gérard a reçu du soutien dans toutes ses démarches. On l’a d’abord assisté avec la nourriture puis les vêtements. On l’aide à avoir du plaisir avec sa fille aussi : on a organisé une fête d’anniversaire pour Madison et régulièrement on lui propose des activités comme le Biodôme, le Cirque du Soleil ou les glissades d’eau.

Gérard raconte que la cohabitation était d’abord un élément de stress pour lui, mais rapidement il a réalisé qu’il était dans une maison chaleureuse où il s’entendait bien avec tout le monde.

« On est tous dans la même situation: un père seul qui a de la misère. Quand quelqu’un arrive, on est chaleureux avec lui, on essaie de l’intégrer. »

– Gérard

Gérard explique comment les enfants se disputent parfois pour les mêmes jouets, et comment la différence d’âge peut parfois causer des frictions. Cependant, il souligne également l’importance d’apprendre à vivre ensemble et de gérer ces situations de manière mature. Chaque père à la Maison Oxygène a ses propres règles pour ses enfants, ce qui nécessite une certaine flexibilité et de la compréhension.

Malgré les difficultés, Gérard se considère chanceux. Grâce à la Maison Oxygène, et à son partenariat avec le service Second souffle, il peut aller vivre en appartement de transition durant un an. « Je vais continuer d’avoir des suivis, une fois aux deux semaines, avec des intervenants de la Maison Oxygène, pour m’aider à me placer pour la suite. Ils m’ont offert une chance, ils m’ont dit ‘on ne te lâchera pas’. »

Madison va bientôt intégrer, grâce à l’aide de la Maison Oxygène, une école spécialisée qui pourra mieux répondre à ses besoins. Cela devrait permettre à Gérard de reprendre le travail, une perspective qui lui redonne espoir. « Je vais attendre un mois ou deux pour voir comment ça va, dit-il, puis je pourrai retourner sur le marché du travail. » Son objectif est d’avoir un coussin confortable pour louer un appartement lorsque son année chez Second souffle tirera à sa fin.

Sans l’ombre d’un doute, pour Gérard, la Maison Oxygène a été une bouée de sauvetage. « J’ai appris que je n’étais pas tout seul. Ici, je suis entouré, je sais que si j’ai besoin d’aide, j’ai accès à du soutien », dit-il avec reconnaissance.

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Petit coup de main devenu gros projet

La Maison Oxygène de Montréal fête ses 35 ans cette année. Son histoire commence en 1989, lorsqu’un père démuni a frappé à la porte de la garderie du Carrefour Familial Hochelaga avec ses deux enfants et quelques sacs poubelles. « Ce père se trouvait à la rue, dans une situation de grande instabilité financière et avec une mère hospitalisée en psychiatrie », raconte Quentin Lebreton, intervenant de formation, travaillant depuis plus de 10 ans pour l’organisme, dont trois comme coordonnateur de services. Les éducatrices de la garderie se sont mobilisées pour aider ce père, et ainsi est née l’idée des Maisons Oxygène.

Aujourd’hui, la Maison Oxygène de la métropole offre 12 chambres, réparties dans deux maisons d’Hochelaga, pour les pères en difficulté, mais la demande dépasse largement l’offre, obligeant l’organisme à resserrer ses critères d’admission. « À l’origine, la Maison Oxygène offrait un hébergement à tous les pères d’enfants de moins de 18 ans, peu importe leur situation, mais aujourd’hui, on accepte seulement les pères qui ont la garde exclusive ou partagée de leur enfant », explique Quentin.

Un soutien sous différentes formes

L’hébergement est la première raison qui amène les pères à la Maison Oxygène. « Souvent, ce sont des pères qui se retrouvent à la rue ou sur le point de l’être », dit Quentin. La maison offre d’abord un soutien matériel indispensable : un toit, de la nourriture et des vêtements. « Une fois ces besoins de base comblés, les pères sont nettement plus disponibles psychologiquement pour s’investir dans un plan de séjour et dans les démarches pour améliorer leur situation », explique-t-il.

En effet, le soutien va au-delà du matériel. La Maison Oxygène propose aussi un soutien individuel, dans le cadre duquel chaque père est rencontré au moins une fois par semaine. Ce second axe est centré sur l’accompagnement des pères dans leurs démarches, que ce soit pour trouver un logement, reprendre le travail ou renforcer leur relation avec leurs enfants.

« La richesse de l’hébergement réside dans le fait qu’on les voit tous les jours, ce qui permet beaucoup d’interventions informelles, au quotidien », précise Quentin.

Mixité autour d’un point commun

À la Maison Oxygène, l’accompagnement des pères révèle la diversité des défis qu’ils rencontrent, souvent exacerbés par des modèles traditionnels de parentalité. « Beaucoup de papas qui arrivent ici sont complètement désemparés à l’idée de devoir prendre en charge des aspects de l’éducation autrefois gérés par la maman », explique Quentin. Cette transition demande une adaptation majeure, surtout pour ceux qui n’ont jamais eu l’occasion de réaliser des tâches aussi simples que donner un bain à un nourrisson ou préparer un repas pour leurs enfants, poursuit-il.

La Maison Oxygène accueille également des pères issus de l’immigration, pour qui les normes éducatives au Québec peuvent représenter un choc culturel. « Dans certains pays, donner une claque à un enfant est considéré comme normal, souligne l’intervenant, mais ici, ce n’est pas le cas, et cela peut même vous causer des ennuis légaux ». Face à cette diversité, l’équipe a dû se former en interculturalité, déconstruisant leurs propres idées préconçues pour mieux accompagner ces pères de tous horizons. « L’année dernière, nous avons accueilli des pères de 37 nationalités différentes », précise l’intervenant. « Ce choc culturel est une richesse, mais il nécessite aussi un apprentissage constant pour nous. »

Salon de la Maison Oxygène – Photo : courtoisie

Demander de l’aide pour mieux grandir

Un autre des défis que Quentin et son équipe rencontrent est de déconstruire l’idée que demander de l’aide est un signe de faiblesse. « On tend à déconstruire cette image associée à la demande d’aide ; ce n’est pas un acte de faiblesse, mais de maturité et de courage, fait non seulement pour soi, mais pour l’enfant », insiste-t-il.

En 2013, le réseau des Maisons Oxygène a été créé pour étendre ce modèle d’hébergement et d’accompagnement des pères à travers le Québec. Aujourd’hui, en 2024, le Québec compte 24 Maisons Oxygène. Le concept s’exporte au-delà du Québec, au Canada et même à l’international, alors que des projets sont en cours pour implanter ce modèle en France, témoignant de l’efficacité et de la pertinence de l’approche.

L’histoire de Gérard et le travail de Quentin illustrent l’importance du soutien communautaire pour les pères en détresse. La Maison Oxygène offre bien plus qu’un simple toit; elle offre une lueur d’espoir, une chance de reconstruire sa vie et de renforcer les liens familiaux. Pour des hommes comme Gérard, ce soutien n’a pas de prix, leur permettant de surmonter les défis de la parentalité et de bâtir un avenir meilleur pour eux et leurs enfants.

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