À moins que vous n’ayez passé les derniers 100 ans dans une grotte, vous n’avez pas pu rater la nouvelle. Je parle bien sûr de la mort d’Elizabeth II, la reine du Royaume-Uni. Ne la connaissant pas, je n’ai rien contre la femme elle-même, bien que je la maudisse parfois en silence quand je ne vois pas assez sa face dans mon portefeuille. Par contre, j’en ai un peu plus sur le cœur face à cette tendance médiatique de suridéaliser les personnages publics qui viennent de décéder, mais surtout contre pratiquement tout ce que représente la monarchie britannique.
On a tendance à l’oublier puisque c’est comme si elle avait toujours été là, mais il faut bien rappeler que la souveraine était la cheffe et le symbole suprême de ce qui a longtemps été le plus grand empire du monde. Celui sur lequel le soleil ne se couchait jamais. Empire comme dans impérialisme. Comme dans: envahir un pays étranger qui ne demandait rien à personne pour le soumettre par la violence et les armes, le conquérir et lui imposer ses lois et sa culture pour finalement piller toute ses ressources et maintenir sa population dans la dépendance et l’exploitation, voire pire encore.
L’impérialisme vient toujours avec ses deux corollaires que sont le racisme et le colonialisme. Car pour trouver qu’un pays étranger mérite d’être soumis entièrement au service de son colonisateur, c’est forcément que celui-ci constitue une civilisation inférieure ou négligeable à ses yeux. Si l’Angleterre est loin d’être la seule – ou même la première – puissance européenne a s’être lancée dans «l’aventure» coloniale, c’est assurément celle qui est allée le plus loin. Elle a engrangé des guerres et conflits qui ont fait des millions de morts et dont plusieurs sont encore en cours aujourd’hui. Permettez que je ne vois pas ici beaucoup de matière à célébration.
Contre toutes les valeurs démocratiques
En lui-même, le concept de monarchie est une absurdité sans nom en tous points contraire à toutes les valeurs démocratiques dites fondatrices de nos sociétés. Les familles royales seraient si supérieures aux autres que même leur sang serait différent. Historiquement, ce serait Dieu lui-même qui les aurait désignées pour régner sur leurs royaumes et empires, avec droit de vie ou de mort sur leurs sujets et investies à la fois des pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires. Rien de plus égalitaire quoi !
On me répondra que la monarchie britannique n’avait plus d’autre pouvoir que symbolique, qu’elle n’était plus qu’une vague tradition commémorant une certaine nostalgie du passé. Ce serait vite oublier que pas plus tard qu’en 2006 au Canada, le gouvernement minoritaire de Stephen Harper est allé voir la représentante de la reine pour lui demander de proroger le parlement pour déclencher des élections. Le tout parce qu’une coalition formée du NPD, des Libéraux et appuyée par le Bloc s’était mise d’accord pour former un gouvernement qui aurait eu la majorité face aux conservateurs. C’est donc dire que la gouverneure générale s’est mise au service d’un premier ministre aux abois pour empêcher une coalition issue des élections démocratiques et représentant les choix d’une large majorité de citoyens de former le gouvernement comme il était tout à fait en droit de le faire. Quand on pense qu’on parle du Canada d’il y a à peine 15 ans, un pays dit indépendant et libre, mais dont non seulement la cheffe d’État est une reine, mais en plus la reine d’un pays étranger, moi je ne le trouve plus si symbolique ce pouvoir.
Les fameuses anecdotes
En dehors de cela, si on louange tant la reine, c’est beaucoup pour la durée de son interminable règne. Quand tu passes ta vie dans les châteaux et l’opulence la plus indécente qui soit, avec une armée de serviteurs pour répondre à tes moindres caprices et que la notion même de travail ou d’effort physique t’es complètement étrangère (elle avait même une employée pour « casser ses souliers » avant qu’elle ne les chausse), vivre longtemps n’est pas un exploit si remarquable. Pour reprendre l’expression de Patrick Lagacé, une existence de « plante verte » vénérable peut effectivement durer un temps.
Je n’en veux pas une seconde aux millions de personnes pour qui ce décès est pratiquement comme celui d’un membre de leur propre famille. Sauf qu’une pensée pour toutes les victimes mortes pour la «gloire» de l’Empire Britannique dont elle était le symbole le plus connu serait aussi de mise. Les victimes des conflits Irlandais, Israélo-palestinien ou Indo-pakistanais, pour ne nommer qu’elles, pleurent aussi leurs morts dans l’oubli depuis trop longtemps.
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