Ce reportage a été réalisé en collaboration avec la journaliste Salomé Maari du média d’information inclusif Toustes.
Il y a quelques années, la valse des déménagements du 1er juillet était attendue. Adorée même, des glaneurs de meubles « à donner », des helpers spontanés à qui l’on paye une part de pizza en fin de journée, et des nouveaux occupants, impatients de voisiner et d’aménager leur nouveau cocon. Mais avec un taux d’inoccupation du secteur locatif au plus bas, le 1er juillet est devenu une source d’angoisse et l’accès au logement, un parcours du combattant. Une réalité plus vraie encore pour les personnes transgenres et non binaires qui subissent des discriminations supplémentaires, comme le constate Cédric Dussault, porteparole du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ). C’est ce dont témoignent également dans nos pages Lou, Miaula, ou encore Me Ré Poulin Ladouceur, avocat spécialisé en défense des droits des locataires.
L’Itinéraire, en collaboration avec Toustes, a recueilli les propos de ces acteur.rice.s clefs pour comprendre les dessous d’une crise aux répercussions majeures.
« On le voit, les files pour visiter les logements s’allongent », dit Me Ré Poulin Ladouceur, avocat spécialisé en défense des droits des locataires. Rien d’étonnant avec un taux d’inoccupation du marché locatif passé de 3 % (point d’équilibre) en 2021, à 1,3 % en 2023, pour l’ensemble du Québec. Le hic avec cette situation, c’est que « les propriétaires ont alors le choix de ne pas prendre de personnes transgenres ou non binaires », souligne l’avocat.
Discriminées pour ce qu’elles sont
Pour Cédric Dussault, porte-parole du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ), les communautés LGBTQ+ subissent encore plus de discrimination que les autres groupes vulnérables, déjà très discriminés. La surreprésentation des personnes LGBTQ+ en itinérance, surtout transgenres et non binaires en est une preuve indéniable.
Les plus récentes données de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) démontrent en effet que « les personnes transgenres et non conformes dans le genre ont deux fois plus de risques de connaître une grande pauvreté et l’itinérance », par rapport à l’ensemble de la population canadienne.
Une « triste réalité », déclaraient Charlotte-Anne Malischewski, la présidente intérimaire de la Commission canadienne des droits de la personne, et Marie-Josée Houle, défenseure fédérale du logement, le 31 mars dernier à l’occasion de la Journée internationale de la visibilité trans.
Où sont les garde-fous?
En matière de justice sociale, le bât blesse. La crise du logement est difficile à absorber et les discriminations en matière d’accès, même lorsqu’elles sont prouvées, ne trouvent qu’une faible réponse réparatrice. Et cela, même s’il existe : la Charte, la Loi nationale sur le logement qui reconnaît le logement comme droit fondamental depuis 2019 ; une défenseure fédérale du logement qui surveille le respect du droit au logement, et la réalisation de ce dernier par les gouvernements ; des campagnes de revendication et de sensibilisation, ou encore des « pare-chocs » comme le registre des loyers mis en place par Vivre en Ville en mai 2023.
Certaines offres de location sont assez clairement discriminatoires. C’est le cas par exemple de celles qui précisent : « Parfait pour un couple ou une personne seule, décrit Cédric Dussault, du RCLALQ. Si tu lis entre les lignes, ça veut dire « les enfants ne sont pas les bienvenus » . » Mais les discriminations liées à l’expression de genre sont plus subtiles, c’est souvent au moment de la visite que tout se passe : « Tu le vois à comment la personne te regarde », relate Lou Gareau-Mignault, personne transgenre en transition au moment de sa recherche de logement il y a deux ans, et confronté à de multiples discriminations. « Tu le sais que tu n’auras pas ton logement. »
Mais comment démontrer qu’il y a discrimination liée à l’identité de genre quand « 80 personnes visitent un même logement ? C’est très difficile », déclare Cédric Dussault. Dans tous les cas, la démarche est de déposer une plainte auprès de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec (CDPDJ).
Dissuadé avant même de porter plainte
Le dernier rapport de gestion de la CDPDJ rapporte qu’en 2022-2023, sur 77 dossiers d’enquête ouverts pour discrimination dans le secteur du logement, aucun ne l’était pour motif d’« identité ou expression de genre ». Étonnant ? Pas tant que cela.
« Porter plainte est rarement la priorité lorsqu’on est en recherche de logement », amorce Me Poulin Ladouceur. Encore moins lorsque les plaintes à la Commission se soldent par « des excuses et un dédommagement monétaire – symbolique », précise l’avocat qui représente « exclusivement » les locataires, et particulièrement ceux de sa communauté étant iel-même trans et non binaire.
De plus, la majorité des plaintes se règlent en médiation, donc à l’amiable. Des cas de figure qui n’ont aucun écho positif dans la communauté, déplore Me Poulain Ladouceur parce que « ça n’encourage pas ses membres à en déposer eux-mêmes », en plus de ne pouvoir garantir que « le locateur ne recommencera pas. »
Dissimuler son identité de genre
Lou n’a pas voulu dissimuler son identité de genre pendant ses recherches : « Me présenter avec mon prénom de naissance… Ç’aurait été ben trop violent », dit-iel. Pour d’autres, c’est une stratégie pour un meilleur accès au logement.
Miaula travaille dans le spectacle et sur les plateaux de cinéma. Elle a aussi été locataire du fameux appartement de la rue Parthenais qui a fait l’objet du documentaire Éviction réalisé par mathilde caprone, sorti en mai dernier. Ce lieu accueillait les membres de la communauté queer dans le Centre-Sud de Montréal.
Comme Lou, Miaula confirme : trouver un logement est un périple jonché de discrimination lorsqu’on est transgenre. Il en est autrement, lorsqu’on est une personne non binaire : « C’est différent, parce que l’identité de genre ne se remarque pas, dit Miaula. Alors, la discrimination s’exerce plutôt une fois que le logement est loué. » Pour des travaux qui sont demandés par exemple, précise Me Poulin Ladouceur. Iel parle aussi de : « Préférer communiquer avec les colocataires, le conjoint ou la conjointe plutôt qu’avec la personne transgenre ou non binaire ; refuser d’émettre le relevé 31, les avis d’augmentation nécessaires pour les impôts, etc. ».
La dernière mesure de protection abolie
Des situations discriminatoires de ce niveau, les membres de la communauté LGBTQ+ en étaient protégé.e.s avant que le projet de loi 31, qui élargit les raisons de refuser une cession de bail par le propriétaire, ne soit adopté. « Grâce à la cession de bail, il y avait tout un réseau de personnes queers et de locateurs ouverts à elles, ou juste indifférents, explique l’avocat. La cession de bail protégeait donc les loyers d’une augmentation abusive, mais aussi le futur locataire des discriminations. »
Sans cette mesure de protection, et avec un marché encore plus compétitif, la communauté LGBTQ+ et encore plus à risque de finir à la rue, ou en itinérance cachée.
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