Édition spéciale
Tracés littéraires
Avril 2024
À l’occasion de son 30e anniversaire, L’Itinéraire vous offres des textes inédits de Michel Tremblay, Patrick Senécal, Monique Proulx, Éric Chacour, Dominique Fortier, Francis Ouellette, Heather O’Neill, Sara Hébert, Virginia Pesemapeo-Bordeleau, Ghislain Taschereau, Nathalie Plaat, Michel Faubert, Maxime Catellier, Sophie Voillot, Jolène Ruest, Mélodie Nelson, Frédérique Marseille et bien d’autres !
Mots de L’Itinéraire
Extraits des auteurs
Lisez quelques extraits de récit du recueil. Pour lire le texte intégral, procurez-vous Tracés littéraires auprès de votre camelot ou sur notre kiosque numérique.
Extraits des camelots
En collaboration avec Narra et Studio Bulldog, 12 camelots racontent où ils étaient en 1994, ce qu’ils sont devenus, ce qu’ils attendent du futur… Derrière le micro, ils se confient à tour de rôle.
Écoutez leurs histoires…
Message de Josée Panet-Raymond
La belle aventure
Quelle belle aventure que ce livre que vous tenez entre vos mains. D’abord parce qu’il concrétise un rêve que je caressais depuis plusieurs années, celui de créer une édition 100% littéraire. L’une qui rassemble les plus grands talents du monde littéraire
québécois et nos camelots, rien de moins!
Et ça ne pouvait mieux tomber. Tracés littéraires voit le jour au moment même du lancement du 30e anniversaire du magazine L’Itinéraire.
Si d’emblée on a cru que la tâche serait ardue d’obtenir la participation des plus grandes plumes du Québec, ç’a été tout le contraire. Les auteur.e.s parmi les plus connu.e.s, jusqu’à ceux et celles de la relève, tous ont répondu présent, sans hésitation. Tout à fait gratuitement. Pour cela, nous leur en sommes extrêmement reconnaissants!
Merci d’être là!
Message de Luc Desjardins
30 ans, ça se fête!
Alors que nous marquons ce 30e anniversaire en publiant une édition spéciale, le Groupe communautaire L’Itinéraire, par le biais de son magazine, honore non seulement le passé de l’organisme, mais également son présent et son avenir prometteur. Le magazine de rue L’Itinéraire est bien plus qu’une simple publication. C’est un projet social et communautaire qui a eu un impact profond sur la vie de nombreuses personnes dans le grand Montréal.
Au fil des trois décennies, L’Itinéraire a publié plus de 564 magazines, deux recueils et plusieurs éditions spéciales. L’organisme a toujours inclus au coeur de tous ses projets ses camelots, souvent des individus ayant vécu l’itinérance, la pauvreté ou la marginalité. Notre mission est d’aider les personnes en situation de précarité ou d’exclusion sociale, en leur offrant une opportunité de gagner leur vie de manière digne à travers la vente du magazine et divers autres programmes.
Bonne lecture.
Francis Ouellette
L’odeur du maître
Une maman loutre qui étreint son petit sur son ventre, en flottant sur la rivière. Les dernières minutes d’une grand-mère avec ses chats ronronnant autour d’elle, sur son lit d’hôpital. Un homme et le corbeau à l’aile brisée qu’il a soigné, qui refuse de partir une fois guéri.
Pensez quelques instants à l’effet apaisant que ce type d’images peut générer sur votre psyché.
Nous sommes plusieurs à nous tourner vers des images issues du royaume animal pour assainir la fosse septique de nos pensées. En guise de calmant, bon nombre choisiront une image de chien. Pour eux, le pinacle du réconfort sera sans doute une vidéo montrant un fidèle compagnon séparé de son maître des années auparavant, l’apercevant au loin, incapable de retenir ses tremblements de joie et les mouvements de sa queue.
Éric Chacour
Louise
J’aurais bien traversé une vie entière sans demander d’aide à qui que ce soit. Oui mais voilà, s’il est une chose qui m’est encore plus pénible que d’importuner mon prochain, c’est bien cette sensation de sable dans les cheveux après un bain de mer. D’ordinaire, je transporte toujours un peigne avec moi, ou j’emprunte celui de Louise, mais elle semblait avoir profité de mon assoupissement pour rentrer chez elle. Je me suis donc approchée de cette jeune femme qui recoiffait ses enfants pour lui demander de me prêter le sien lorsqu’elle aurait terminé. Elle ne me répondit pas. À la réflexion, je me demande même si elle s’est donné la peine de me regarder. Elle continuait, imperturbable, à démêler la tignasse de sa progéniture et tout en elle semblait m’indiquer que ma requête aurait moins de chances d’aboutir que la demande de grâce d’un condamné. Ses enfants non plus n’avaient pas bronché. La même indifférence polie à l’endroit du reste de l’humanité avait dû leur avoir été méticuleusement transmise depuis leur naissance. Un désintérêt qui n’était qu’accidentellement méprisant.
Monique Proulx
Le Champion
Ils m’appellent: Tom Tout Croche, Jambe de Bois ou Couilles Moches.
M’man m’appelle : MonAnge.
Ils me lancent des tomates écrasées ou des crottes de chien par la tête, ils m’attendent dans l’angle mort des ruelles pour me pincer, me poussailler et me larguer des coups de pied. M’man me glisse des chocolats aux raisins dans les poches et me flatte les cheveux: T’as passé une bonne journée, MonAnge?
Je cache mes bleus et mes gales sous mes manches et je lui réponds en souriant: Super! Superissime !
J’ai trouvé un truc qui fonctionne : il suffit de rentrer à l’intérieur quand l’extérieur se déchaîne. À l’intérieur de ta peau, il y a une zone pare-balles incroyable, une espèce d’île tranquille contre laquelle la pluie et les requins ricochent en pure perte. Je m’étends là, je me prélasse, je ricane quand les coups pleuvent loin devant, à l’extérieur de moi. Les coups, et les vacheries. Hé Jambe de bois! Couilles molles puantes!
Heather O’Neill
I Remember
I remember when divorced men bought waterbeds. They had moustaches and chest hair. They stared at the mirrors on their ceilings and fell in love with twenty-year-olds who worked at the grocery store.
I remember when men wore burgundy suits to work. Their ties were covered with
pictures of wild animals. Their gold wristwatches beeped in unison on the hour.
I remember how children would sit on stoops and sing television commercials together. Ones for junk food were popular. There were children on every stoop. You had to step between them with your grocery bags to get into your building.
I remember when cheese fondue was all the rage. There were advertisements on
television. You could call the number on the screen, and they would send you an orange fondue pot
Michel Tremblay
Comme un parfum de folie
T’es pas tanné ? Hein ? T’es pas tanné ? Tu vas continuer comme ça longtemps ? Sans te tanner ? Jamais ? Hein ? Jusqu’à la fin de l’année ? Sans jamais te tanner ? À me lancer des affaires dans’classe quand le frère a le dos tourné ? À toujours essayer de me tapocher dans’ cour de récréation! À me traiter de tou’es noms devant tout le monde ! À m’attendre à’ porte de l’école pour me donner des coups de pied ou des claques su’a yeule ! T’es pas tanné ? T’aimerais pas ça, des fois, changer ? Hein? Changer de cible ! Chais pas, moi, choisir quelqu’un d’autre ? Ça ferai changement, non? Toujours tapocher sur le même, y me semble que ça doit finir par être plate ! Ben non, c’est toujours moi!
Sophie Voillot
L’Opinel
Ce que j’aime avec les couteaux Opinel, c’est qu’ils restent toujours aiguisés. Je sais pas avec quoi ils sont fabriqués, moi le mien je l’ai depuis trois ans et il coupe aussi bien qu’au premier jour. Et je m’en sers pas que pour couper des tomates, comme dans la publicité à la télévision. Moi, avec mon Opinel, je fabrique des oiseaux. En bois. L’été, au parc Lafontaine, les employés de la ville taillent les arbres. C’est là que je trouve mon matériel: c’est plein de belles branches sur l’herbe, le soir. C’est plein d’hommes aussi, mais ils me laissent tranquille parce que je suis une fille.
J’aime ramasser des branches, c’est comme aller à la chasse. Il faut ouvrir l’oeil pour repérer celles qui ont la bonne forme, tordues, noueuses. Le nœud, c’est le corps de l’oiseau. Mais avant de le sculpter, j’enlève l’écorce. Il faut que je fasse attention pour pas en mettre partout sinon ma mère me crie après. Alors je mets un vieux journal sur la table de la cuisine, comme ça j’ai la paix.
Patrick Senécal
Zombinérants
Évidemment que personne ne croyait aux morts-vivants. Du moins, avant le jour Z. Mais maintenant, on n’avait plus le choix. Même les plus sceptiques, même les plus rationnels, même les scientifiques ne pouvaient plus nier les faits: des centaines d’itinérants de Montréal étaient devenus des zombies.
Après avoir recoupé événements et témoignages, on pouvait affirmer que la première manifestation avait eu lieu il y a deux mois, le 26 juin 2024. Un couple qui se promenait dans les rues du centre-ville avait vu un itinérant s’avancer vers lui. L’homme et la femme habitaient Montréal depuis longtemps et avaient l’habitude de croiser les sans-abri; ils les reconnaissaient du premier coup d’œil, cela n’avait plus rien d’extraordinaire pour eux, ni même de dérangeant.
Dominique Fortier
Chronique des apparitions
Quand j’étais enfant, les journaux n’existaient qu’en papier (l’anglais s’en souvient, qui les appelle encore aujourd’hui papers). On découvrait ce papier tous les matins devant la porte, roulé, entouré d’un élastique. Chez nous, qui habitions Cap-Rouge, en banlieue de Québec, c’était Le Soleil, imprimé pendant la nuit, et dont l’encre encore fraîche tachait les doigts. Mon père l’ouvrait à la table du déjeuner, il écumait les nouvelles locales et internationales, la section économique, le cahier des arts avec plus ou moins d’attention, il me semble, pour enfin arriver à ce qui l’intéressait plus que le reste : la rubrique nécrologique, qu’il parcourait attentivement tous les jours. De temps en temps, il levait les yeux de la page.
Maxime Catellier
Au Bar
Le café s’appelait Au Bar. Il y avait, près de la porte, un tabouret. Là, on pouvait s’asseoir pour fumer et personne ne demandait pourquoi, ou quand, ou comment, ou pour combien de temps. Derrière le long bar de béton brillant d’une glaçure sombre, Jérôme faisait des cafés à la vitesse de la lumière et nous chargeait une piasse l’espresso. Nous étions dix, peut-être vingt, à traîner là pour tuer le temps. Les autres prenaient leur commande pour emporter. C’était là, au coin de Panet et d’Ontario, que j’appris à tuer le temps en désirant les filles qui, l’une après l’autre, remplaçaient le gérant pour occuper les soirs. Anne-Marie, Catherine, Gaël. Je suis tombé en amour avec toutes les ombres qui passaient sur les murs de ce café, en attendant qu’il se passe quelque chose, pendant que j’essayais de transcrire ce qui s’écrivait sous mes yeux.
Virginia Pesemapeo Bordeleau
À cause de Bella et de Ti-Gars
C’est un récit qui demande un effort à la mémoire d’une dame, atteinte par les limites du temps accordé à son corps, qui se replie devant le moindre coup de vent et tremble autant que la dernière feuille sur la branche. Parfois elle ne me reconnaissait plus. Grand-mère faisait le décompte de ses souvenirs depuis les plus anciens et un incident survenu au cours de son adolescence l’empêchait de continuer son ménage mental, selon ses propres termes. Elle se mit donc à me raconter l’événement.
Ghislain Taschereau
Ce coccyx de reptile n’a rien de très prometteur
Ça y est, je suis dans la merde. Je me suis donné un nouveau défi. J’aime les défis, mais celui-là va tellement bousculer mes neurones que je risque de me retrouver avec le cerveau dans le plâtre. Je vous explique : au lieu de chercher une idée de nouvelle, de me creuser le ciboulot pour élaborer une histoire originale, j’ai décidé de choisir d’abord un titre et d’inventer ensuite l’histoire qui viendra avec. J’ai voulu trouver le titre le plus tordu possible pour faire travailler mes méninges d’une façon improbable. Et je crois avoir trop bien réussi.
Nathalie Plaat
Comme une vague trop grosse
Tandis que je marche vers ma pièce rouge, celle où je recevrai mes patients du jour, tu t’accroches à chacune de mes pensées. Je marche sur les trottoirs de novembre, ton fantôme en bandoulière, bien calé entre la mallette de dossiers et la courroie du sac à main, près du cœur.
Tu me traverses de bord en bord, encore.
Le chemin se fait seul sous mes pas.
Le chien marche au pied, devenant mon chien-guide tandis que je deviens aveugle au réel.
Mélodie Nelson
des cailloux comme un autre corps
pour la lumière, xoxo
elle avait un chemisier lilas
comme la crèmerie entre chez elle et chez moi.
elle m’imitait et réchauffait du beurre, puis y passait des pointes de pizza, roulées.
nos cuba libre et son visage renversé
elle disait qu’il fallait écrire quelque chose ensemble sur la tristesse.
son visage renversé
à pleurer la mort de sa mère
et les amis de son père
le soir, quand ils buvaient tous
comme nous, presque comme nous.
Michel Faubert
Le mur
On serait rendu au matin, mais il fait noir encore tellement. Solstice d’hiver qu’ils disent. La nuit fait son overtime de saison. Le vent se lève puis se démonte. Toute la neige tombée dehors s’en retourne d’où est-ce qu’elle est venue en faisant des grands cercles fantômes. Sinon, rien comme dans rien. Le silence assourdissant. Un char au loin de temps en temps. La cognée d’un cœur qui se débat comme il peut dans sa cage d’os. Un lit bien trop grand, la chambre alentour bien trop petite. Ni chaise ni table. Partout à terre, des corps morts de la veille puis de l’avant-veille.
Sara Hébert
Ces petits maux
Jolène Ruest
Tu l’as loué combien de temps, le camion?
La porte se ferme avec fracas. Une porte derrière laquelle un lit double, une bibliothèque IKEA Billy, une vieille commode, une lampe sur pied à deux doigts d’être sacrée aux vidanges se sont trouvés une maison temporaire dans un camion de déménagement. Comme bien des camions un premier juillet.
– Attends, faut que j’aille déposer la clé.
Frédérique Marseille
Le froid au ventre
Bonjour.
Je suis un frigidaire.
Ce n’est pas de la poésie, c’est vrai.
Je suis un frigidaire d’une marque qui n’est pas Frigidaire.
Les gens m’appellent frigo.
Pas comme le gars dans le livre du romancier
qui a gagné beaucoup de prix cette année.
frigo juste frigo,
pas de nom de famille
frigo
parce que je suis un réfrigérateur.
Josée Panet-Raymond
Le dernier départ
Michka ouvre les yeux. Tout est noir. Un noir de néant, impénétrable. Tout son corps semble sous contention. Elle ne peut pas bouger du tout. Pourtant, elle ne sent aucun lien ni aucune pression. Pas la moindre paroi. C’est comme si elle flottait dans le vide.
Elle attend que la noirceur se dissipe pour pouvoir distinguer des formes ou des contrastes. Peine perdue. Les minutes s’allongent et deviennent des heures. Elle est toujours plongée dans la plus grande noirceur. La panique s’empare d’elle. Des pensées sombres l’envahissent.
Gabriel Lavoie
Une bombe dans l’estomac
Photo : David Himbert
Mélanie Noël
Coconut et country
Photo : Gabriel Lavoie
Chris Brown
Cold War
Photo : Gabriel Lavoie
Robert Patenaude
Santé « metal »
Photo : Gabriel Lavoie
Anne-Marie Wiseman
On m’appelait la pieuvre
Photo : Gabriel Lavoie
Stéphane Lanctôt
Pizza Hut
Photo : Gabriel Lavoie
Maxime Valcourt
T’es comme la famille, icitte
Photo : Gabriel Lavoie
Agathe Melançon
Steak haché
Photo : Gabriel Lavoie
Céline Marchand
Meryl Streep
Photo : Gabriel Lavoie
Lynn Champagne
Huit vies
Photo : Gabriel Lavoie
Jean-Claude Nault
Elvis du Centre-Sud
Photo : Gabriel Lavoie
Yvon Massicotte
Pas tuable
Photo : Gabriel Lavoie