On est à l’aube de la commission Charbonneau et du Printemps érable. Un jeune homme, début vingtaine, assiste au conseil municipal de la Ville de Laval. Un citoyen se lève et interroge les élus sur les initiatives de la Ville en matière d’itinérance et de logement social. Le maire Vaillancourt, tristement célèbre, se lève et se dirige vers les toilettes. « Continuez votre question », lance-t-il avant de quitter son fauteuil.
Ce moment disgracieux est gravé dans la mémoire de Stéphane Boyer, le plus jeune maire de la ville de Laval, porté au pouvoir, l’automne dernier. Élu en 2013 et réélu en 2017 à titre de conseiller municipal dans Duvernay-Pont-Viau, le dauphin du maire sortant Marc Demers souhaite poursuivre l’élan du parti Mouvement Lavallois. Une vision de l’ancienne Île Jésus, qui rompt avec le modèle de la banlieue dortoir : une maison, un terrain et deux autos, que l’on associe souvent à la troisième ville en importance au Québec.
Le « petit gars de Laval »
« Cette désinvolture du maire Vaillancourt, à l’époque, était venue me chercher, se souvient M. Boyer. Je ne connaissais pas grand-chose à la politique mais assez pour comprendre qu’un maire qui se lève pendant une question d’un citoyen, c’est pas normal. » Moment qui a certainement contribué à faire naître ce désir de changer les choses par la politique municipale.
« Je dis souvent que je n’ai jamais pensé faire de la politique. Je ne viens pas d’une famille qui s’intéresse à ce monde-là. Mes grands-parents étaient agriculteurs, mon père était entrepreneur dans le monde manufacturier », dit d’entrée de jeu Stéphane Boyer. Rien ne destinait donc le « petit gars de Laval », comme il se qualifie lui-même, à une carrière politique. Celui qui a parcouru le monde du Mexique à la Nouvelle-Zélande, en passant par l’Afrique du Sud, lors de ses études universitaires, se dirigeait plutôt vers le développement social et communautaire, rêvant d’œuvrer pour de grandes ONG internationales.
L’intérêt pour la chose politique s’est renforcé lorsqu’à l’université on le taquinait du fait qu’il venait de Laval, ville phare du 450, avoue-t-il en blaguant. « C’est important de développer cette fierté pour notre ville, ce n’est pas évident, c’est un des gros défis que je me donne, dit M. Boyer. Pour développer ce sentiment d’appartenance, il faut des gestes ambitieux dont les citoyens vont être fiers. Il faut prendre notre place. On a été longtemps vu comme une ville dortoir, ce n’est plus vrai, ce n’est plus ça. On a de plus en plus de Lavallois qui habitent et qui travaillent à Laval, la scène culturelle se développe de plus en plus. Je crois que Laval a pris son envol. »
Stéphane Boyer parle d’un ton assuré et franc, à grands traits plutôt que dans le détail. S’il ne fait aucun doute qu’un vent nouveau se fait ressentir à l’hôtel de ville, le jeune maire s’exprime néanmoins parfois en formules proches du slogan.
« Les gens ont de la misère à me sizer parce que j’ai un côté, oui, très social, mais aussi très efficace et pragmatique. Dépendamment du dossier, je me demande toujours quelle est la meilleure solution et, avant de choisir le véhicule, je me demande où on veut se rendre. »
Pas de promesses irréalistes
Stéphane Boyer se décrit comme un maire réaliste, refusant de faire de la politique partisane en promettant ciel et terre. En 2021, il a pris la place, par intérim, du maire Demers, qui a dû s’absenter pour des obligations familiales. Ce qui lui a permis de mener une campagne électorale au diapason de sa réalité municipale, en connaissance de cause. Oui aux changements, aux transitions innovatrices, mais le bâteau ne vire pas de bord si facilement, admet-il.
« Les gens ont de la misère à me sizer parce que j’ai un côté, oui, très social, mais aussi très efficace et pragmatique. Dépendamment du dossier, je me demande toujours quelle est la meilleure solution et, avant de choisir le véhicule, je me demande où on veut se rendre. On choisit en fonction de ça », dit le jeune maire.
Parmi ses grands défis: la saine gestion des finances publiques. L’inflation que nous connaissons actuellement ne touche pas seulement les individus, rappelle-t-il, mais les villes en subissent également les effets. Maintenir et améliorer les services aux citoyens, tout en gardant une marge de manœuvre budgétaire, est un exercice qui n’est pas toujours payant électoralement, mais qui s’avère plus responsable, fait-il valoir.
Tous à la même table
Une initiative dont peut se féliciter l’équipe du Mouvement Lavallois est certainement sa Politique régionale de développement social (PRDS). Mise sur pied en 2019, elle est issue d’une démarche collective regroupant 26 acteurs lavallois provenant du milieu sociocommunautaire, municipal et du Centre intégré de santé et services sociaux (CISSS) de Laval. On préconise, entre autres, des quartiers à échelle humaine et mieux y intégrer les personnes en situation de vulnérabilité.
« On a assis plein de monde autour d’une table, et en matière de développement social, de réduction des inégalités, de pauvreté, d’inclusion sociale, on s’est demandé “ qu’est-ce qu’on peut faire ensemble ? ” On s’est donné un plan de match qu’on partage tous et on s’est distribué des responsabilités pour atteindre ces objectifs », souligne M. Boyer. D’ailleurs, cette vision d’équipe, horizontale, fait partie de l’approche du maire. Selon lui, la verticalité n’a plus sa place en politique : « Une manière de faire qui est plus circulaire que pyramidale. »
Non seulement au sein de la ville qu’il représente, mais également avec ses collègues élus des autres villes. « Autrefois, les villes tiraient pas mal la couverte de leur bord pour avoir les sommes de Québec et d’Ottawa. Je n’ai pas cette façon de voir le monde, et je le sens également chez d’autres mairies. C’est comme une prise de conscience des enjeux communs : environnement, habitation, sécurité publique. On est mieux de faire front commun et se partager les meilleures pratiques que de se déchirer pour les enveloppes », dit celui qui vient d’être élu président du Caucus des Municipalités de la Métropole, succédant ainsi à Valérie Plante.
Accueil favorable
Les organisations qui œuvrent auprès des personnes à risque ou en situation d’itinérance se réjouissent de la venue du maire. Mathieu Frappier, coordonnateur du Réseau des organismes et intervenants en itinérance (ROIIL), accueille positivement son élection : « À ma connaissance, c’est le premier parti qui prend officiellement des engagements en matière d’itinérance et qui travaille directement avec nos organismes. Reconnaître que l’itinérance existe, et prendre des engagements en ce sens, c’est certain que c’est dans le rayon du positif, car nos besoins sont criants ». Pénurie de main-d’œuvre, manque de financement à la mission, immeubles vieillissants et cohabitation sociale, des défis de taille qui devront se trouver rapidement sur la table à dessin du maire, estime M. Frappier.
« Traditionnellement, on va financer plus un organisme qui travaille dans le monde du soccer que dans l’itinérance, par exemple. Parce que dans la division des responsabilités, nous on s’occupe des loisirs et le provincial s’occupe de la santé. »
La situation d’itinérance
Lors du grand dénombrement en 2018, on comptait 147 personnes vivant en situation d’itinérance à Laval. Au cours de la dernière année, le Refuge d’urgence de Laval a recensé plus de 250 personnes ayant franchi leurs portes. À l’heure actuelle, ce qui urge, c’est de trouver un nouveau lieu pour cet organisme, qui a dû déménager trois fois en deux ans. Par ailleurs, L’Aviron, une autre ressource en hébergement communautaire, affiche complet la plupart du temps.
« Les besoins augmentent et se complexifient, constate Mathieu Frappier. C’est le principal dossier sur lequel on interpelle la Ville et le maire Boyer. On veut consolider les services de notre refuge. On est allé chercher le financement pour l’opérationnel et l’intervention, là c’est le cadre bâti qui nous fait défaut. Il faut partir le 30 juin et on ne sait pas où on va aller. »
Révolution communautaire
«Révolution», c’est le mot qu’emploie Stéphane Boyer lorsqu’il explique le rôle que la Ville entend jouer dans son développement communautaire et social. C’est qu’en matière de santé et services sociaux, on renvoie souvent la balle aux gouvernements provincial et fédéral qui financent en majeure partie les programmes. «Révolution» parce que la Ville veut davantage financer à la mission les organismes qui sont principalement dans le giron de la santé.
« Traditionnellement, on va financer plus un organisme qui travaille dans le monde du soccer que dans l’itinérance, par exemple. Parce que dans la division des responsabilités, nous on s’occupe des loisirs et le provincial s’occupe de la santé », explique M. Boyer.
Parmi les projets envisagés, la Ville évalue la possibilité de transformer l’immense bâtiment patrimonial des Soeurs Missionnaires de l’Immaculée-Conception, situé sur la place Juge-Desnoyers, face à la rivière des Prairies. La Ville est en discussion avec les sœurs et les organismes pour créer un hub de développement sociocommunautaire. Un toit pour plusieurs organismes, du logement social, une maison de naissance, une résidence pour aînés ; quelques exemples des potentiels locataires du bâtiment. Pour l’instant, l’administration lavalloise évalue encore la faisabilité du projet: « Comme conseiller municipal, à l’époque, la congrégation m’avait approché pour me faire part de son désir de vendre. Je leur ai dit “regardons plutôt si on ne peut pas faire quelque chose qui bénéficie à la communauté, pas juste une tour à condos”. Si on peut faire d’une pierre trois coups, protéger le patrimoine, aider les organismes, créer du logement social, ce serait incroyable. »
« On ne peut pas imposer aux citoyens des choix. C’est un mélange entre être à l’écoute, sensibiliser, expliquer pourquoi on fait les choses […] Construire un kilomètre de route avec deux maisons ou 200 condos, ça coûte le même prix à la Ville mais ce n’est pas les mêmes revenus. »
Des espaces protégés
L’équipe du maire Boyer poursuit son engagement envers l’environnement. Si le Plan métropolitain d’aménagement et de développement (PMAD), adopté en 2011 par les villes du Grand Montréal, s’est donné l’objectif de protéger 17% du territoire d’ici 2031, Laval a fait plus que sa part. Elle est passée de 3% du territoire protégé en 2011 à 12% aujourd’hui. « On a quadruplé les espaces protégés. On a acquis l’équivalent de deux à trois fois la superficie du MontRoyal », se targue Stéphane Boyer.
En janvier dernier, son équipe a annoncé l’agrandissement du refuge faunique de la rivière des Mille-Îles. C’est 568 hectares qui se sont ajoutés au statut de protection reconnu par Québec, séparé en 432 lots et sur plusieurs îles, dont l’île Saint-Pierre et l’île aux Vaches, acquises en 2020, et l’île Locas, dont l’acquisition est imminente.
Ce secteur regorge d’une riche mais fragile biodiversité. La Ville compte 350 espèces animales, dont le tiers est menacé aujourd’hui.
Le Laval de demain
Les longues autoroutes et les grandes tours à condos stériles, ce n’est pas le Laval du futur que le maire Boyer et son équipe ont en tête. Pour contrer les émissions de gaz à effet de serre (GES) et s’attaquer de front à la crise climatique, les villes comme Laval doivent se densifier davantage, pour protéger les espaces naturels et réduire l’usage et la place consacrée à la voiture. La causalité est évidente, selon le maire: des quartiers plus denses vont permettre une meilleure offre de transport.
« Il n’y a pas la densité suffisante pour avoir un réseau de transport efficace qui passe régulièrement. On parle beaucoup de l’électrification des véhicules, c’est vrai, mais ça ne règle pas la question de la congestion routière. Ça ne réglera pas le fait qu’une voiture passe 95% de son temps stationnée à ne rien faire », estime M. Boyer.
Laval a été la première ville au Québec à faire rouler sur son circuit un autobus 100% électrique. La flotte en compte maintenant 10, d’une autonomie de 250km et on envisage qu’elle sera entièrement carboneutre d’ici 2035.
Cependant, le maire est conscient qu’il a beaucoup à faire pour contrer la crise climatique, et c’est tout un changement de culture qui doit s’opérer. « On ne peut pas imposer aux citoyens des choix. C’est un mélange entre être à l’écoute, sensibiliser, expliquer pourquoi on fait les choses, dit-il. Ça vient avec des changements d’habitude et il faut expliquer pourquoi on fait ça. Construire un kilomètre de route avec deux maisons ou 200 condos, ça coûte le même prix à la Ville mais ce n’est pas les mêmes revenus. Ce n’est pas qu’on fait plus de cash, mais ça nous permet de pas trop augmenter les taxes. Ça a plein de sens. Il faut donc prendre le temps de l’expliquer aux gens. »
Fait à souligner, le Plateau Mont-Royal est plus dense que le centre-ville de Montréal. Il existe donc plusieurs modèles de densification sans passer par les «t ours sans âme », selon lui.
Les questions du camelot
GL: À Laval, le transport collectif est gratuit pour les aînés. Puisque le territoire est grand et que les services sont plus nombreux dans les quartiers centraux, mais que les gens plus vulnérables sont toujours logés plus loin du centre-ville, parce que les loyers sont moins chers, envisagez-vous d’offrir la gratuité aux gens en situation d’itinérance?
SB: La Société de transport de Laval (STL) est en train d’évaluer la possibilité d’établir une tarification sociale sur l’ensemble du grand Montréal. D’une part parce que l’on sait que les gens ont besoin de mobilité dans la ville même, mais également au sein du Grand Montréal.
Les mécanismes à mettre en place pour les 65 ans et plus étaient relativement simples puisqu’avec une pièce d’identité, on peut démontrer l’âge assez facilement. Mais quand c’est lié à la condition de vie, qui peut fluctuer, comment faire la preuve et vérifier le statut de la personne? Il y a cette complexité logistique, mais nous avons la volonté de le faire. On y travaille.
GL: J’ai moi-même vécu l’itinérance en 2007-2008. À Laval, c’est un peu comme Longueuil, c’est moins dense et les lieux sont plus loin les uns des autres. Les personnes sont obligées de marcher longtemps. En situation d’itinérance, on marche toute la journée. J’avais des ampoules aux pieds. Mandater un organisme qui serait responsable de distribuer les cartes d’accès au transport, est-ce que ce serait possible?
SB: C’est justement cette option qui est envisagée.
GL: Je paye 845$ par mois pour mon 31/2 et je suis sur l’aide sociale parce que j’ai une contrainte sévère à l’emploi. Le prix des loyers ne cesse d’augmenter. C’est plus de 50% de mon revenu qui va pour le loyer. Selon le dernier recensement, ils sont 14% à Laval à consacrer, comme moi, la moitié de leur argent dans le logement. Que fait la Ville?
SB: Laval compte construire davantage de logements abordables et sociaux. En 2020, on s’est engagé à construire 1000 logements en trois ans. On est en train d’atteindre notre objectif mais ce n’est pas suffisant.
Parmi les défis que je vois actuellement, c’est le déséquilibre entre l’offre et la demande, que ce soit pour un logement locatif ou une maison. Il ne se construit pas suffisamment d’habitations et donc on est dans une spirale de surenchère où bien des gens sont prêts à payer plus parce qu’il y a une rareté de logements disponibles.
Il faut trouver une façon d’augmenter l’offre en logement et en construire plus. On veut des logements de qualité à faibles impacts environnementaux et des bâtisses qui vont créer une ville qui sera belle.
Nous [les Villes] devons nous regarder dans le miroir et être capable de se dire que nos règlements en habitation sont lourds et complexes. On veut des logements plus beaux avec des critères de plus en plus élevés, et c’est correct comme ça, mais ce n’est pas parce qu’on a des standards plus élevés que ça doit prendre quatre fois plus de temps pour les construire. À ce chapitre-là, on compte augmenter considérablement le nombre d’employés pour évaluer les projets et les demandes de permis pour une mise en chantier plus rapide.
GL: Est-ce que la rénoviction, est un phénomène à Laval? Si oui, quels sont les mécanismes en place pour le contrer?
SB: Je crois que c’est un phénomène répandu partout parce que justement, en ce moment, il manque de logements. Les propriétaires voient qu’il y a de l’argent à faire et c’est une manière pour eux de se débarrasser de leurs locataires qui n’ont pas les moyens de payer.
GL: C’est très frustrant parce que c’est tout le temps ceux qui ont moins d’argent qui doivent se reloger. Moi j’ai accepté de payer plus, mais il y a de moins en moins d’options pour les gens à faible revenu.
SB: En ce moment je me dis que des choses se font déjà au Québec et ailleurs, qu’on connaît peu ou pas assez et qui pourraient être importées ici. En ce sens, nous tiendrons un sommet sur l’habitation, conjointement avec la Ville de Longueuil, le 26 août prochain. Dans le cadre de ce sommet, on va explorer plein de solutions et, en amont, on va avoir des consultations publiques pour permettre aux citoyennes et citoyens de partager leurs idées.
GL: Que comptez-vous faire pour répondre aux besoins des organismes oeuvrant en itinérance et en services sociaux qui doivent refuser de plus en plus de gens parce qu’ils n’ont pas les moyens financiers de répondre à la demande? Certains peinent même à payer leur loyer et à avoir des salaires décents. Quel rôle peut jouer la Ville?
SB: On travaille de plus en plus en concertation avec les organismes. Je vais vous donner un exemple bien concret. Durant la pandémie on a vu une augmentation du nombre de personnes en situation d’itinérance à Laval et on venait tout juste d’acquérir la Maison Saint-Joseph, un bâtiment patrimonial. Un promoteur immobilier l’avait préalablement acheté pour le démolir. Nous l’avons tout de suite acheté pour le protéger et on l’a donc transformé en refuge d’urgence temporaire.
GL: Est-ce que vous faites face au problème du «pas dans ma cour»?
SB: Dans ce dossier spécifique, peut-être. Mais il y a eu une situation d’urgence et on n’a pas eu le temps de préparer le voisinage et de faire de la sensibilisation. Le plus gros défi collectif c’est de réussir à comprendre la réalité des autres. Si on est chacun dans notre coin et qu’on a des préjugés sur ce que vivent les autres personnes, on ne s’en sortira pas.
GL: Il y a un préjugé qui veut que les personnes dans la rue sont des criminels. Si on comprenait plus leurs misères et pourquoi ils se sont retrouvés dans la rue, il aurait plus d’acceptation. En tout cas si on réussit ça, on vivra dans un meilleur monde.