Premier chirurgien innu ayant grandi dans une réserve au Québec, le Dr Stanley Vollant n’a plus vraiment besoin de présentation. Avec sa verve dotée d’une spiritualité qui a su résister aux épreuves, il se dit touché de près par l’itinérance, car certains de ses cousins ont fini à la rue. C’est pour cela qu’il se fait un devoir de parler de son parcours aux jeunes, tout comme d’autres l’ont fait un jour pour lui.
Comme beaucoup de nos soignants, le chirurgien ne l’a pas eu facile avec la pandémie. S’il lui est arrivé «d’avoir la chienne» en entrant à l’Hôpital Notre-Dame ouu0300 il travaille, il est resté auprès de ses patients, par devoir. Nombreux sont ceux qui l’ont marqué. Comme cet homme, dont il se souvient, qui était en situation d’itinérance. Soigné pour un ulcère perforé, un trou dans son estomac, l’homme était abimé par la vie et vivait des moments difficiles aux niveaux psychologique et social.
Stanley Vollant a fait ce qui lui semblait nécessaire à ce moment-là: tendre l’oreille et offrir son aide. Il lui a donné son manteau Kanuk, ses souliers en duvet, des pantalons, des bottes et des bas. « Il en avait plus besoin que moi et il était si content d’avoir des vêtements chauds », dit-il naturellement pour expliquer ce beau geste. Ces choses données avaient une grande valeur sentimentale, car, c’est avec ce manteau jaune qu’il a parcouru des milliers de kilomètres à la rencontre des siens dans les communautés autoch- tones lors de ses marches Innu Meshkenu. « Peut-être que je le reverrai dans la rue, peut-être pas. Il le gardera sans doute ou il le donnera à quelqu’un qui en aura besoin, et ça, c’est tout ce qui compte pour moi. »
L’effet Joyce
Des anecdotes comme celles-ci, le chirurgien en a à la pelle. Et des moments positifs aussi. Mais, il y en a qui sont plus tragiques que d’autres, comme la mort troublante de Joyce Echaquan qui le touche encore. C’est bien pour cela que le mois dernier, Stanley Vollant a dit publiquement que «le racisme systémique dans les hôpitaux [l’aurait] poussé à avoir des pensées racistes envers les [siens] ».
Cette vérité est, selon lui, partagée par plusieurs Autochtones et personnes issues des minorités culturelles dans sa clientèle. « De façon insidieuse, ce racisme s’immisce dans notre schéma de pensée et nos façons de faire et est duu0302 à l’éducation coloniale qui nous a enlevé notre culture, celle héritée de nos ancêtres. »
Ironiquement, le chirurgien traduit ce phénomène par ce que les Autochtones nomment le syndrome de la pomme, appelé aussi syndrome du bounty (ou oréo) chez les personnes noires et syndrome de la banane chez les personnes asiatiques. En bref, l’expression renvoie à un comportement voulant que des personnes, qui ont une couleur qui ressemble à la culture d’origine à l’extérieur, en aient une autre, qui s’assimile à la culture dominante à l’intérieur. Un stratagème insidieux qui permet de passer inaperçu, d’entrer dans le moule sans faire de vague.
Stanley Vollant dit avoir regardé les siens avec des yeux différents. Des yeux qui n’étaient peut-être pas ceux de ses ancêtres, mais qui étaient ceux transmis par « un processus d’éducation imprégné par le colonialisme ». Il confie avoir, dans ses nombreuses marches organisées avec des personnes autochtones, entendu des témoignages de personnes qui disaient que leurs parents ou grands-parents avaient eu des interactions négatives dans certains hôpitaux à Joliette, Amos, Val-d’Or, Roberval ou Sept- îles. « Et au lieu de les croire, mon éducation médicale m’a fait dire [que ces personnes] avaient peut-être mal interprété des propos. »