Incomparables et reconnaissables au premier coup d’œil, les dessins du caricaturiste de La Presse font rire, réfléchir et grincer des dents depuis pratiquement 50 ans. C’est justement dans cette perspective que le Musée McCord exposera près de 170 de ses œuvres à (re) découvrir. « Attention, ce sont mes dessins qui seront exposés, pas moi », tient-il d’ailleurs à préciser, l’air rieur. Chapleau ne manque pas d’humour. Maintenant âgé de 74 ans, il reste fidèle à lui-même, à ses valeurs et ses passions. Jeune étudiant des Beaux-arts de Montréal, il était un inconditionnel des grands de la BD française, avec qui on peut élogieusement le comparer aujourd’hui. Mais disons que son parcours vers la caricature éditoriale ou l’animation de marionnettes géantes pour la télé était loin d’être tracé d’avance. Même s’il nous a confié pratiquer quelquefois le golf – chose inimaginable pour le jeune dessinateur plutôt anar et hippie qu’il était à 25 ans – Chapleau n’a rien perdu de sa verve, de son œil critique et de sa griffe acérée.
Vous disiez, en 1981, que devenir caricaturiste était une erreur de parcours. Avez-vous toujours le même sentiment ?
J’ai encore un peu le même feeling. Mais je ne dirai plus tant une erreur de parcours qu’un accident, car, effectivement, il n’y a pas d’école ni de cours pour ça.
La caricature ne s’enseigne pas à l’école et ne s’apprend dans un livre. Alors comment devient-on caricaturiste ?
La caricature, c’est comme l’humour. Si tu as du talent pour faire de l’humour, tu en feras et si tu n’en as pas, tu n’en feras pas, même avec un diplôme de l’École nationale. Moi j’ai fait les Beaux-arts avec tous les « Z’arts classiques », mais à côté je faisais des petits dessins, des croquis ou des BD un peu tout croche. Ce n’était pas très apprécié par l’école. Quand je parle d’accident, c’est qu’à un moment il faut gagner sa vie. Alors j’ai fait de la pub, des affiches, des posters, etc. pour les Grands Ballets Canadiens, pour l’Opéra Rock Tommy du groupe The Who avec des filles nues et des visages rock psychédéliques. À un moment, tu te cherches donc de l’ouvrage et moi j’étais un fanatique des BD françaises, et des « [les] Grandes Gueules » du magazine Pilote. C’était des dessins pleine page, en couleur, travaillés chacun pendant parfois deux semaines. Il n’y avait pas de blague. Juste des visages hyper travaillés. J’en étais un peu jaloux. Sauf qu’il n’y avait pas de place ici pour faire ça, alors je me suis essayé. D’ailleurs, il y a le tout premier dessin dans l’exposition que j’ai fait, ensuite il y a eu ma première caricature, avec une blague, qui était celle de Gilles Vigneault. Je suis allé voir le patron du magazine Perspectives, Pierre Gascon, qui m’a dit : « O.K., tu commences la semaine prochaine. » Et voilà, ma carrière était lancée ! Si personne ne m’avait dit : allez go, on essaie !, je serais peut-être vendeur d’assurances ou de chars aujourd’hui.
À partir de quand avez-vous su que vous seriez dessinateur ?
J’ai toujours su que je gagnerais ma vie en dessinant, avant même Perspectives. Où, comment et pourquoi je ne le savais pas, mais la seule chose qui me donnait un peu de confiance en moi dans la vie, c’était mon habileté à dessiner. J’ai travaillé pour des architectes, des ingénieurs-conseils, j’ai fait des plans avec des règles parallèles, mais j’avais cette habileté. Puis, c’était sûr et certain que j’étais fait pour ça, parce que j’étais pourri dans tout le reste, sauf à l’École des Beaux-arts qui m’a aussi fait découvrir un autre monde à part de ma petite rue. Moi, je viens d’une famille très modeste où la culture, c’était de faire pousser des tomates. Dans les années 60, les Beaux-arts étaient une école complètement flyée. Quand tu viens d’un quartier où tout le monde est semblable et que tu rentres dans une école où il y a des Noirs, des Blancs, des Juifs, des Africains, des petits, des gros, des artistes, des riches, des pauvres… et des filles, beaucoup de filles ! C’est fantastique et tout un changement.
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Photos : Alexandre Duguay
Lorsque la proposition d’apprendre les bases de la caricature avec Serge Chapleau a été lancée auprès des camelots, les places disponibles ont été comblées en un rien de temps. C’est dire l’enthousiasme qui régnait parmi les participants.
Dans la salle éducative du Musée McCord, le mobilier bleu-gris est adapté aux petites tailles ; celles des enfants. De cette hauteur, Serge Chapleau semble immensément plus grand qu’à l’habitude. Assis en demi-cercle, Norman, Manon, Siou, Mario, Cindy et Jean-Claude l’observent, impatients de commencer l’atelier et… un peu impressionnés.