En octobre dernier, Serge Bouchard, anthropologue, historien et philosophe, faisait paraître chez Boréal, dans la Collection Papiers collés, L’Allume-cigarette de la Chrysler noire. Cet ouvrage présente une soixantaine de courtes nouvelles qui émanent de ses billets livrés dans le cadre de l’émission C’est fou… diffusée sur Ici Première. Des pages pleines de sagesse, fruits d’une carrière entière passée à réfléchir, mais aussi à appréhender l’avenir des générations futures.
Serge Bouchard présente dans son livre des pans de sa vie personnelle. Il y relate des rencontres qui l’ont marqué, il réfléchit à la notion de temps, à la forte influence qu’ont eue sur lui ses parents. Il nous fait un tour d’horizon sur ses interrogations, sur ses souvenirs de voyages, sur le sens à donner à l’autorité, à la justice et à l’injustice. L’auteur prend le temps de s’arrêter pour se souvenir des « chicaneries » d’enfants, mais aussi des répercussions que peuvent avoir les plus forts sur les plus faibles, les nantis du pouvoir sur ceux qu’ils exploitent. Bref, ce sont toutes les facettes de nos existences qui se retrouvent dans ce livre.
Rencontré en entrevue dans le cadre du lancement de son livre, Serge Bouchard est revenu sur ses contacts avec les routiers, les truckeurs qu’il a côtoyés dans le cadre de ses multiples études sociétales. On comprend ainsi l’importance qu’accordent les ouvriers à leur « ouvrage » et à ceux qui ont « fait le métier » si on veut obtenir leur adhésion. On saisit fort bien leur manque total de respect pour leurs patrons lorsqu’ils disaient: « Mais qu’est-ce qu’ils y connaissent eux du métier ces gens-là? Ont-ils déjà conduit un truck? »
Ami des peuples autochtones
Comme la carrière de l’anthropologue l’a fait voyager partout en Amérique, il a fait des découvertes qui l’ont marqué et qu’il nous partage. Ces voyages ont développé chez lui un intérêt sincère et un respect pour les peuples autochtones, leur culture et leurs croyances. Il a d’ailleurs beaucoup écrit à leur sujet, prononcé nombre de conférences, donné une foule d’entrevues et il offre quelques textes percutants à leur endroit.
Son écriture est aussi particulièrement singulière. Quoiqu’il dise ou veuille exprimer, Serge Bouchard le fait tout en douceur et sur un ton qui nous fait sentir qu’il s’adresse directement à nous. Malgré une culture encyclopédique, jamais il ne cède à la pédanterie du savoir, jamais le ton ou les mots utilisés nous éloignent de sa pensée.
Bien que conçus pour la radio, il se dégage une belle poésie de ses écrits. Cela, dit-il, « vient du fait que lorsque je lis mes textes, ils sont déjà sous une forme littéraire. Ils ont longtemps été travaillés. Il n’y a jamais d’improvisation. Et ça, ça vient d’une autre de mes réalités, je travaille beaucoup à l’écriture. J’écris et je ne compte pas les heures. Je gosse, je gosse, et il sort quelque chose d’original. » À ce sujet, dans un texte paru dans le magazine Contact, site administré par la Direction des communications de l’Université Laval, Pascale Guéricolas écrit : « Pour mieux se faire comprendre de son public, le formateur met au point la méthode Bouchard. Remettre en contexte, revenir aux origines, manier les concepts philosophiques, décortiquer l’histoire, raconter, raconter, raconter. Utiliser sa bonhomie comme arme de destruction massive pour occire les idées reçues et les stéréotypes. »
En colère contre l’injustice
Dans son livre, Serge Bouchard se raconte et se livre. On découvre, question de bonhomie, que le sieur Bouchard tient ce trait de caractère principalement de son père qu’il dit n’avoir jamais vu se fâcher. Dans la nouvelle qui donne son titre au livre, il raconte qu’après avoir commis une formidable bourde, son frère et lui n’ont pas eu de réprimande. Leur père leur a dit de faire en sorte que leur mère ne le sache pas. Cet homme était un contemplatif, un rêveur, un brin anarchiste, n’acceptant aucune forme d’autorité ce qui fait qu’il n’occupa pratiquement jamais un emploi où il avait d’autre patron que lui-même. Ce n’était pas un rebelle, il avait simplement jeté l’éponge. Le père de Serge Bouchard faisait donc ce qu’il voulait comme il le voulait : « Tu te fais toujours dire que tu dois obéir aux ordres mais tu n’y es pas obligé. Il faut que tu réfléchisses. Tu peux les transgresser. C’est ce qu’a fait mon père. »
Serge Bouchard, par contre, éprouve parfois de la colère qu’il justifie par sa conscience sociale. Il écrit dans la nouvelle Les poings serrés d’un enfant sur les bancs d’école: « Je suis encore en colère aujourd’hui. En colère contre les publicités qui non seulement nous prennent pour des imbéciles, mais nous représentent à l’écran comme de parfaits crétins. En colère contre l’ignorance crasse, contre l’absence de données sur les véritables conditions sociales. Je suis en colère contre la quantification de tout, contre la logique des systèmes dits objectifs en colère devant la perte de contenus, devant la prolifération des rires nerveux de notre monde surexcité. »