S’initiant à l’apiculture urbaine, les itinérants qui fréquentent l’Accueil Bonneau trouvent un sens à leur quotidien en prenant soin de huit ruches qui se trouvent sur le toit de l’organisme. L’entreprise d’apiculture urbaine Alvéole, qui les accompagne, travaille en réinsertion sociale et initie les apprentis-apiculteurs en leur transmettant leur passion des essaims bourdonnants.
Depuis 2014, ce sont une quarantaine de sans-abri (ou comme ils les surnomment « les gars ») qui ont participé à ce projet novateur et créatif permettant de mettre un baume sucré sur leurs cœurs tout en leur faisant découvrir une passion potentielle. Alvéole s’occupe d’une soixantaine de ruches réparties à travers sept emplacements dans le Grand Montréal. Environ 6600 pots de miel ont été vendus l’an dernier au public par le biais de l’épicier Metro et les apprentis-apiculteurs. Chaque ruche abrite 50 000 abeilles et produit entre 10 et 20 kilos de miel par année. Ce miel artisanal non pasteurisé contient des vitamines naturelles, des enzymes et des antioxydants.
Sous un soleil de plomb, L’Itinéraire était convié sur le toit de l’Accueil Bonneau où on oubliait la superbe vue sur le Vieux-Port pour concentrer notre regard sur les huit ruches faisant valser des abeilles tournoyantes. Bien qu’apeurée au départ, j’ai vite compris qu’elles n’étaient pas dangereuses. J’ai poussé mon courage jusqu’à tremper mon index dans un rayon de miel grouillant d’une centaine d’abeilles afin de déguster une première récolte.
Cause « hyper-importante »
Cinq « gars », dont certains arboraient le filet protecteur sur la tête, semblaient plus qu’à l’aise dans cet environnement peu docile. Ils ont procédé à l’ajout de cadres avec des cellules de cire afin de donner plus de place à la reine pour qu’elle ponde des œufs. « On leur donne de l’amour ! », dit Étienne Lapierre, l’un des trois cofondateurs d’Alvéole, entreprise créée en 2012 par trois amis apiculteurs. Aujourd’hui, on compte 35 employés avec des bureaux à Montréal, Toronto et à Québec.« Notre objectif c’est le partage par le nombre de personnes qui participent au projet. Nous sommes une entreprise sociale. C’est une cause hyper-importante et les gars participent à des enjeux, à offrir une solution humaine et donnent l’exemple ».
Mario Brodeur, 59 ans, itinérant depuis l’âge de 18 ans, a obtenu récemment un logement subventionné grâce à l’Accueil Bonneau. Le déclic s’est fait avec le projet des ruches sur le toit de ce lieu de dernier recours. « C’est un gros changement; je ne me promène moins et j’ai pensé à sortir de la rue grâce à ça. C’est ma première année; c’est devenu un loisir que je fais deux fois par semaine, au même titre que les ateliers de peinture ou de musique de l’Accueil Bonneau. C’est une passion, ça m’apporte du bonheur, le soleil me fait bronzer, l’air est meilleur et j’ai un contact avec les travailleurs, ce qui me permet de jaser. Les abeilles bougent vite sur les alvéoles, faut être attentif, vigilant et surveiller qu’il n’y a qu’une seule reine. »
John Ungar, 66 ans, qui a vécu dans la rue pendant quelques mois et habite un HLM, y trouve un havre de paix. « C’est pour moi une sorte de méditation, de la tranquillité zen et c’est bon pour le cœur. Ça commence à être une passion, les abeilles pollinisent un tiers des fruits et sans elles nous n’existons pas ! J’admire les abeilles; elles sont l’œuvre de Dieu ! »
En plus de sensibiliser le public aux enjeux environnementaux, l’initiative est d’autant plus pertinente depuis que l’abeille est apparue sur la liste des insectes pollinisateurs en voie d’extinction en octobre 2016 par The United States Fish and Wildlife Service (USFWS), un organisme fédéral américain.
Participation humaine
Soulignons par ailleurs que les gars impliqués ne sont pas rémunérés par pot vendu; ils ont plutôt une rétribution monétaire à chaque fois qu’ils participent aux visites des ruches. Ce sont eux, accompagnés par Alvéole, qui s’occupent de l’entretien de toutes les ruches des divers emplacements. Le projet du Miel de Bonneau est principalement financé par Metro et ses fournisseurs et par la vente du miel. Tous les profits sont réinvestis dans le projet pour que celui-ci se poursuivre d’une année à l’autre.
« Metro est un grand partenaire, tout comme d’autres artisans de Montréal qui utilisent du miel comme des pâtisseries, des boulangeries, des chocolateries. Notre miel a une grande richesse et c’est extraordinaire que les gens dégustent notre récolte qui est produite sur le toit. Il y a aussi le bienfait à connotation sociale : la participation humaine d’itinérants ayant des problèmes de santé mentale. C’est unique à Montréal, c’est un travail d’équipe qui leur permet d’accomplir quelque chose et de raviver leur d’estime de soi », remarque Étienne Lapierre.
« C’est un peu comme à L’Itinéraire, les gars développent des aptitudes en communication, souligne Geneviève Kieffer Després, directrice des communications à l’Accueil Bonneau. Si on n’avait pas les abeilles pour la pollinisation des fruits et légumes, 90 % de l’alimentation ne serait pas disponible; c’est essentiel ! »
L’immense diversité florale des milieux urbains permet de soutenir un grand nombre de colonies d’abeilles. La preuve a été faite à l’étranger : à titre d’exemple, Londres compte 15 fois plus de ruches qu’à Montréal. Née d’une idée d’Yves Ménard, un avocat criminaliste passionné d’apiculture, l’entreprise Alvéole confirme que la ville constitue un environnement idéal pour une colonie d’abeilles grâce à la grande diversité florale, le manque de pollinisateurs et l’interdiction d’utiliser des pesticides, ce qui fait des milieux urbains de véritables eldorados pour ces petites butineuses. Une initiative primordiale puisqu’un tiers de la production alimentaire mondiale dépend de la pollinisation. |
Cet article intégral vous est offert gracieusement par L’Itinéraire.
Vous en voulez plus? Passez voir votre camelot ou participez à l’aide à la rédaction en offrant un don.