Elles sont là depuis les débuts du hip-hop et rap québécois. Elles s’expriment en joual, en français, en anglais, en espagnol, en créole, en russe, en arabe ou autres. Les femmes s’imposent et ont leur propre style. Et à vrai dire, elles cartonnent ! Pourtant, malgré la popularité grandissante du mouvement sur la scène publique, les femmes sont souvent classées dans une rubrique « au féminin ». Et si nous ajustions notre lentille ?
Quand elle était au cégep, Marie-Gold (Chloé Pilon-Vaillancourt) participait parfois à des matchs d’improvisation. Motivée, elle a même rappé son examen de français de secondaire 4 devant l’ensemble de ses professeurs. « C’était complètement hilarant, c’était juste parfait », se souvient-elle amusée.
Marie-Gold se lance réellement dans le milieu après un voyage à vélo en Inde où elle cherche ses « fondations ». Elle était alors déjà très consciente qu’elle voulait fonder un groupe de rap uniquement avec des femmes et que « ça allait certainement clasher dans le milieu ».
En 2015, l’idée se matérialise par la création du collectif Bad Nylon qui est à priori le collectif de rappeuses le plus récent au Québec. On la retrouve aux côtés de Kayiri, ZOZ et de la DJ Audrey Bélanger. La conscience féminine ou féministe était, selon elle, vraiment présente dès le début.
À ses côtés, J-Kyll (Jenny Salgado) se replonge dans ses souvenirs. Tout n’a pas vraiment commencé en 1996 avec Muzion, un groupe désormais mythique dans la culture du rap queb qu’elle forme avec Dramatik (Jocelyn Bruno) et son frère Imposs (Stanley Rimsky Salgado).
« La toute première fois, j’ai entendu les boys rapper en anglais dans la chambre à coucher et à l’écoute, j’ai voulu me joindre à eux. J’ai écrit un verse en français, ils ont kiffé et c’est ça qui a enraciné Muzion. On était dans le quartier Saint-Michel à Montréal dans l’rap-game. Et finalement, on l’a fait pour de vrai ! »
Nous sommes en 1994-1995 à Montréal, un premier groupe nommé Wolfpack se forme, mais il ne durera pas longtemps. Puis Muzion forme un collectif avec d’autres rappeurs comme Le Voyou qu’ils appellent La Dynastie des Morniers. J-Kyll prend le lead et envoie des démos aux émissions hip-hop à CIBL, Radio Centre-Ville ou encore CISM. Le mélange entre le français et l’anglais charme et s’impose. Puis vient une autre formation qui regroupe certains des mêmes artistes qu’ils appellent Akadémia.
Au début, J-Kyll ne sent pas que son identité de femme prend vraiment le dessus. Il y avait une communauté de jeunes qui avait des choses à dire et le rap apparaissait comme le seul moyen de le faire et surtout d’exister. « L’identité de femme n’était pas encore la première identité qui prenait l’avant puisqu’on était à une époque où le mouvement était plus communautaire. » Ce n’est que quand les premiers retours se font entendre, que certains s’identifient à ses paroles que l’environnement extérieur lui permet de prendre conscience du fait d’être une femme qui rappait avec des hommes.
Urgence d’exister
À la sortie de La vi ti-nèg, en 1999, l’un des morceaux phares de Muzion, la vie était loin d’être facile dans certains quartiers de Montréal et il fallait miser sur le rassemblement des communautés. Si les influences étaient très américaines et un peu françaises, c’est au fur et à mesure que le rap queb s’est créé sa véritable identité en assumant sa particularité. « Aujourd’hui, la relève peut se permettre de mouler quelque chose de plus artistique alors que nous, on avait cet aspect fondamental social et culturel qui devançait le jeu de la rime, le flow ou whatever. Il y avait l’importance du propos, du now I’m here et tu vas l’savoir que j’suis là. Puis, c’est devenu « alright, on est là » quand il y a eu la réponse des quartiers (rires). »
On le comprend vite en regardant les vidéoclips de cette époque : c’était bien plus que de la musique rap, on sent un besoin urgent de se rassembler, de se comprendre et d’exprimer une réalité des quartiers éprouvés. « C’était plus que de l’art, c’était un mouvement. Il fallait non seulement créer quelque chose qui n’existait pas, mais il fallait aussi le faire à partir d’une identité qui n’existait pas et qu’il fallait imposer. Et cela s’est ressenti au niveau de ma féminité que je n’ai pas pu explorer parce qu’il y avait quelque chose de plus étendu que le fait d’être femme qui devait d’abord s’imposer. Le rap game est devenu vite très sérieux », ajoute l’artiste.