Au Québec, plusieurs de nos villes se sont littéralement construites autour des industries papetières. Mises à rude épreuve depuis le début de la pandémie, on a parlé, sans doute à tort, de « pénurie de papier ».
Dans les faits, on ne manque que d’un certain type de papier : glacé ou couché, utilisé pour les magazines ou les livres photos, et qui n’est pas produit ici. Il est vrai cependant que les éditeurs ont été confrontés à une augmentation des coûts d’approvisionnement qu’ils ont dû anticiper pour respecter leur rythme de production.
En amont, se pose la question de la fabrication du papier. Particulièrement celle du 100 % recyclé, largement apprécié de ces mêmes maisons d’édition et magazines québécois, pour des raisons environnementales. Mais comment le fabrique-t-on ? D’où viennent les matières premières ? Et est-il vraiment « vert » ?
L’industrie papetière : Un savoir-faire bien de chez nous
C’est un secret de polichinelle, l’industrie des pâtes et papiers fait la fierté des Québécois. Des régions entières se sont développées à son rythme, cherchant sans cesse à se renouveler pour répondre aux nouveaux besoins. Grâce à son vaste réseau hydrographique et à la richesse de ses forêts aux quatre coins de la province, plusieurs quartiers ouvriers et villes se sont littéralement construits autour des papeteries.
Tout démarre au Québec à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle, avec l’augmentation de la demande en papier journal, l’apparition des journaux quotidiens et des presses rotatives. Pour répondre à la hausse de la demande, on se tourne vers les forêts du Canada, et en particulier celles du Québec, pour s’approvisionner en bois et fabriquer la pâte à papier.
Dès les années 1 800, l’industrie se développe donc grâce à l’exploitation forestière destinée au marché britannique. Avec le blocus naval de Napoléon de 1806 et les difficultés d’approvisionnement en matières premières de l’Angleterre — qui n’a plus accès au continent européen —, le Québec découvre tout le potentiel commercial de ses forêts.
Au tournant du 20e siècle, la pâte de bois destinée à être transformée en papier devient le nouveau besoin. On passe du pin à l’épinette et du bois de construction au bois à pulpe. Les scieries laissent place aux papeteries qui s’établissent près des cours d’eau. Des régions comme l’Outaouais, le Saguenay—Lac-Saint-Jean et la Mauricie se classent parmi les plus productives en la matière.
L’industrie papetière se développe dans les premiers temps grâce au marché étranger, surtout américain. La demande en papier journal est stimulée par l’impression à grand tirage des médias écrits. Il faut s’approvisionner en pulpe au Québec et les matériaux sont envoyés aux États-Unis pour être transformés.
Dès cette époque, les papetières se concentrent dans les grands centres urbains de l’Ontario, du Québec et de la Nouvelle-Écosse, notamment en raison de la proximité des matières premières. La plupart des papetières sont fondées par des propriétaires de journaux. La première est d’ailleurs construite entre 1803 et 1805 par James Brown, c’est l’Argenteuil Paper Manufactory, située près du Montréal d’aujourd’hui et associée au journal, qui deviendra plus tard The Montreal Gazette.
Des lois et des ressources
En 1910, le gouvernement provincial adopte une loi qui interdit l’exportation du bois à pâte à partir de celui qui a été coupé dans la province. Elle vise à reprendre le contrôle des forêts québécoises : les entreprises installées à l’extérieur doivent désormais s’installer au Québec pour procéder à la transformation des matières dans la province. C’est à partir de là que l’on investit pour construire des usines et fabriquer soit de la pâte de bois, soit du papier journal pour répondre à la demande américaine.
Avec l’adoption du Underwood Act par le gouvernement américain, les tarifs douaniers sur le papier sont abolis afin de stimuler les échanges commerciaux. Ainsi, au moment de la Première Guerre mondiale, une très grande majorité de la production canadienne de papier journal se fait aux États-Unis. Le Canada devient donc à la fois le premier producteur mondial de papier journal et aussi le premier exportateur.
Un peu après cette loi, Trois-Rivières devient une ville de choix pour accueillir des grandes usines de pâtes et papiers en raison de ses installations portuaires, son réseau ferroviaire et sa proximité avec des ressources électriques de Shawinigan.
Industrie d’après-guerre
Après la Première Guerre mondiale, l’industrie reprend son souffle. Pendant une dizaine d’années, plusieurs usines de papier journal se construisent à Trois-Rivières comme ailleurs dans la province. On se souviendra de l’appel du premier ministre Louis-Alexandre Taschereau à « se servir de l’or de nos voisins pour se développer ».
L’Église joue ici un rôle considérable pour offrir aux entreprises américaines qui s’installent dans la province de la main-d’œuvre moins chère et le gouvernement offre des avantages fiscaux, comme la suspension de taxe. Puis vient la crise des années 1930 qui a pour effet de ralentir la croissance de l’industrie partout au pays, obligeant plusieurs usines à mettre la clé sous la porte.
Après 1945, on note des augmentations records de la production papetière avec un effort concernant l’organisation du travail: on mécanise certains procédés et les métiers liés à l’industrie se spécialisent, notamment avec l’ouverture d’une première école nationale de papeterie, à Trois-Rivières. Un gros travail est fait aussi du côté des conditions de travail des ouvriers qui s’améliorent, notamment avec la création de syndicats.
La prédominance du papier journal dans la production papetière dure jusqu’aux années 1960-1970. Avec l’augmentation du nombre de magazines sur le marché, on a besoin de papier glacé. Mais on n’en fabrique pas comme on fabrique le papier journal. « Ce savoir-faire ancien est allié à une nouvelle expertise qui se développe, alors même que beaucoup de reconversions s’opèrent dans les secteurs du carton et de l’emballage », explique l’imprimeur de formation et chercheur Éric Leray. « Les acteurs de l’ industrie papetière n’ont plus forcément un lien avec l’imprimerie. Tout se développealors en fonction du prix du marché. »
Et puis il y a le « maîtres chez nous » de Jean Lesage. On souhaite se réapproprier le territoire et ses richesses. On nationalise l’électricité et on crée de nouvelles stratégies pour contrôler l’exploitation des ressources. On est alors en 1974, date à laquelle le gouvernement adopte une loi visant à s’assurer une meilleure répartition de la ressource forestière selon les régions en octroyant des subventions pour aider les usines à se moderniser.
Avec l’informatique et les nouvelles technologies, de nouveaux types de papiers apparaissent comme les papiers d’écriture, les imprimantes au laser ou à l’encre sèche. Bref, on tente de s’adapter au marché et de répondre à des besoins un peu plus spécialisés.
Question de supports
Éric Leray rappelle l’évolution en termes de supports: du papyrus au papier parchemin à base de peau de bête, au papier à base de tissu, puis au papier bois à base de pâte venant du bois. « On était dans les mêmes quantités de production qu’au Moyen-Âge en impression de livres ou de presses, mais on a commencé à produire en rouleau et à créer des techniques d’impression en textile, sur du papier à base de pin ou en rotatives. Au Québec, quand on parle de production de papier, il y a un lien avec l’avènement des médias de masse. »
L’industrie du Québec devient extrêmement performante et fournissait d’ailleurs, jusqu’à tout récemment, de 30 % à 40 % de la pâte à papier bois utilisée pour fabriquer le papier journal.
En parallèle, il y a la production de la presse et du livre qui se construit d’abord grâce à l’importation, surtout au sortir de la Deuxième Guerre mondial. Mais c’est aussi à partir de ces années-là que l’édition québécoise se développe et devient très forte, avec ses particularités.
La grande différence avec l’Europe, selon le chercheur, c’est qu’au Québec, on se doit d’être plus polyvalent en raison des distances et de la rareté de la main-d’œuvre. On est donc obligés de faire un peu de tout. « On performe et on devient experts dans le papier journal, notamment grâce aux imprimeries Dubuc qui récoltent une médaille d’or de la meilleure pâte au monde », signale M. Leray.