Pierre* marche chaque matin du métro Lionel-Groulx au métro Papineau, aller-retour, et « comme une abeille qui butine », va de bac de récupération en bac de récupération à la recherche de canettes pour arrondir ses fins de mois. Une routine quotidienne de quatre heures qui dure depuis quatre ans.

« Je ramassais environ 150 $ en canettes par semaine. Avec la consigne qui double, ça représente 10 $ de plus par jour. Je constate que des gens qui n’ont jamais fait ça autour de moi commencent à le faire de plus en plus », dit celui rencontré à l’épicerie voisine de L’Itinéraire, alors qu’il retournait ses canettes dans la machine dédiée. Si la modernisation des règles de consignation fait l’affaire de Pierre et de certains commerçants, tous n’accueillent pas la nouvelle de la même manière.

Plus de contenants consignés

Depuis le 1er novembre 2023, il est plus payant de retourner ses canettes au dépanneur et à l’épicerie. En plus d’avoir doublé la valeur de la consigne de 5 à 10 sous, l’Association québécoise de récupération des contenants de boissons (AQRCB) élargit le type de contenants acceptés.

Il faut environ 60 jours pour que votre canette déposée en consigne se retrouve sur les tablettes de votre détaillant. Chaque année, au Québec, on en récupère près de 27 000 tonnes. Et on en récupérera davantage, parce que l’AQRCB élargit la consigne pour tous les contenants de boisson en aluminium de 100 millilitres à deux litres.

Fini la frustration de voir une canette d’eau gazéifiée Montpellier ou Bubly revenir dans vos mains, tous les « prêt-à-boire » en aluminium sont maintenant consignés. Cet élargissement amène la nouvelle estimation à 300 millions d’unités consignées par année, selon Consignaction, l’organisme de gestion de la consigne désigné par l’AQRCB.

Ces 300 millions de nouvelles canettes retournées s’ajoutent aux 2,5 milliards de contenants revalorisés annuellement.

Mais l’impact majeur est certainement le fait que la valeur de consigne a doublé, à l’exception des canettes de plus de 450 millilitres, les « tall cans », qui passent de 20 sous à 10 sous.

Faire plus simple

« On ne se casse pas la tête, avoir une seule valeur, c’est plus simple », explique Frédérik St-Onge, vice-président finances et administration chez Consignaction. Une manière de rendre plus simple le système de consignation pour monsieur et madame Tout-le-Monde et qui vise avant tout à récupérer et revaloriser davantage. Pour M. St-Onge, doubler le montant de la consigne, c’est avant tout un incitatif pour mieux récupérer et participer aux adaptations climatiques.

Ce changement s’opère dans un plan d’action plus large, qui d’ici mars 2025, récupérera 5 milliards de contenants consignés, en élargissant la consigne aux bouteilles de vin, aux bouteilles d’eau et autres contenants en carton.

Lieux de retour

Seuls les commerces ayant une superficie de vente supérieure à 375 m2 seront tenus de reprendre les contenants consignés. Les plus petits commerces n’ont plus l’obligation de le faire, mais surtout, s’ils décident de continuer à accepter la consigne, ils manqueront d’espace. Une situation que déplore l’Association des marchands dépanneurs et épiciers du Québec (AMDEQ), puisqu’un propriétaire de dépanneur pourrait devoir envoyer son client directement au compétiteur. Le propriétaire d’un commerce qui ne prend plus la consigne devra afficher les points de retour les plus proches pour informer sa clientèle. Une perte d’achalandage qui mène à une perte de revenus, nécessairement.

« La consigne, ça génère du trafic », dit M. St-Onge de Consignaction, et la perte de revenus pour les petits commerces qui prendront la décision de ne plus accepter les retours de canettes est un « phénomène inévitable ».

Plus d’argent dans les poches

Pierre a dû se revirer de bord il y a quatre ans lorsqu’il a perdu son emploi en pleine pandémie. « Il a fallu que je trouve une solution pour manger, il y a tellement de préjugés envers les gens qui font ça », dit le valoriste membre de la Coop du même nom, chargé de soutenir les gens qui revalorise les objets qu’on met d’emblée aux poubelles. D’ailleurs, pour lui, la coopérative Les Valoristes, au-delà de sa mission, est surtout un point où il est possible d’apporter ses contenants et de rencontrer des gens qui
font la même chose que lui. « Il y a autant de raisons de ramasser des canettes qu’il y a de personnes qui le font, nuance-t-il. Je me suis rendu compte que ce n’était pas juste du monde vraiment pauvre. »

Il se souvient qu’une personne l’ayant vu « butiner » les bacs verts lui a offert en guise de cadeau une grosse bière. « Ça fait quatre ans que je ne bois plus d’alcool, j’ai aussi un diplôme d’études collégiales en administration », déplore-t-il lorsqu’on lui met une « étiquette ».

Valoristes

Chaque jour, plusieurs personnes comme Pierre se côtoient dans la coopérative qui est un lieu de dépôt pour récupérer, trier et rembourser les contenants consignés au centre-ville de Montréal. Des personnes de tous horizons qui en font la collecte, comme travail ou pour arrondir les fins de mois. Pour eux, la nouvelle consigne est une « excellent nouvelle » comme l’a affirmée dès son adoption Marica Vasquez Tagliero, coordonnatrice et cofondatrice de la coopérative de solidarité Les Valoristes.

En collaboration avec Gabriel Lavoie, aide-journaliste et camelot marché Metro, chemin Chambly, Longueuil

* Nom fictif