A-t-on vraiment idée de ce que c’est que de fuir son pays et de s’installer dans un autre, sans soutien, sans amis, sans famille ? Cela relève du parcours du combattant. Il faut être fait fort, mais l’expérience n’est pas sans laisser des cicatrices. Peuvent-ils espérer de meilleurs lendemains ? Quelques récits de demandeurs d’asile et de leur parcours semé d’embûches.
L’histoire de Nancy
Elle était policière à Port-au-Prince. Alors qu’elle travaillait, on a tenté de l’assassiner. Elle y a échappé de justesse. Elle n’avait pas le choix, il fallait partir immédiatement. Ses assaillants allaient revenir. Quelques heures plus tard, elle monte seule à bord du premier avion vers Miami, grâce à un visa obtenu pour sa formation de policière. Direction finale, chemin Roxham. Craignant les représailles et enceinte de trois mois, elle n’a averti que sa mère et son mari. Deux de ses collègues ont été tués depuis son départ.
Une fois à Montréal, Nancy, alors enceinte de 7 mois de jumeaux, ne savait pas du tout ce qu’elle allait faire, où elle allait vivre, après que son seul contact ici lui ait demandé de quitter son appartement. Finalement, ce qui l’aura sauvée, c’est d’être hospitalisée en raison de sa grossesse, car ce n’était pas des jumeaux qu’elle attendait, mais des triplés ! Un ange sur la route de Nancy: la travailleuse sociale rencontrée à l’hôpital Sainte-Justine. Elle a même assisté à son accouchement, trouvé tous les articles nécessaires pour ses enfants, et c’est aussi elle qui lui a trouvé une chambre au Centre Latraverse. Sinon, elle allait où? Elle ne sait pas.
À part le Centre d’hébergement Latraverse, seulement deux autres organismes montréalais sont là pour offrir un toit à ceux et celles n’ayant pas trouvé de logement au Québec. Le centre, logé dans un presbytère de Montréal-Nord, tente à bout de bras de demeurer ouvert pour sa trentaine de résidents. « Ce n’est nettement pas suffisant, ce qu’on offre versus la demande qu’on reçoit. On est toujours en mode urgence. Et moi je ne reçois aucune aide ou subvention de la part du gouvernement pour des raisons que j’ignore. J’ai des arriérés de loyer à payer et la paroisse veut me mettre dehors » déplore Kicha Estimé, la directrice du centre, qui offre depuis deux ans une aide pourtant essentielle à ces demandeurs d’asile, qui, sans une place où rester, seraient à la rue.
Une frontière n’attend pas l’autre
Lorsqu’ils sont interceptés sur le chemin Roxham — la première frontière franchie—, les demandeurs d’asile sont d’abord envoyés aux douanes de Saint-Bernard-de-Lacolle, à une heure de Montréal, dont la capacité du centre d’hébergement temporaire est limitée.
Les agents frontaliers y évaluent les demandes pour la remise du premier document d’immigration, appelé le «papier brun» dans le jargon de l’immigration. Cette première démarche administrative, en quelque sorte la deuxième frontière que doivent traverser les migrants à leur arrivée, consiste en une entrevue en personne. En temps normal, celle-ci se faisait en moins de 48 heures, mais les demandeurs doivent désormais attendre des jours, voire plusieurs mois, et dans certains cas des années pour cet entretien.
En février dernier, La Presse révélait que 25351 demandeurs d’asile étaient en attente de cette rencontre essentielle à l’obtention du document du demandeur d’asile (DDA) ou «papier brun». Sans ce papier, ils ne pourraient pas demander de permis de travail. Vu l’explosion du nombre de demandeurs d’asile au cours des dernières années, certains se retrouvent avec un premier rendez-vous pour cette entrevue en … 2025!
Vous venez de lire un extrait de l’édition du 15 mars 2023. Pour lire le texte intégral, procurez-vous le numéro de L’Itinéraire auprès de votre camelot.