Figure marquante de la scène culturelle québécoise, Normand D’Amour s’est frayé un chemin au petit et grand écran et au théâtre. Papa deux fois, il vit sa passion pour le jeu sur la scène et au quotidien : chez lui, il possède plus de 250 jeux de société. Quand nous l’avons rencontré, les mesures de distanciation physique en lien avec la propagation de la Covid-19 venaient d’être annoncées par les gouvernements provincial et fédéral. Chez Randolph, rue De Castelnau à Montréal, la boutique ludique accueillait de nombreuses personnes cherchant des jeux de société pour passer une quarantaine à la maison tout en s’amusant. Et, pour ceux qui sont à la recherche d’un animateur, la passion de Normand D’Amour est telle qu’il propose les mardis et les jeudis des questionnaires ludiques en direct sur Facebook destinés aux familles et aux adultes.
Quelle était la place du jeu dans ton enfance ?
Mon rapport le plus précieux avec le jeu, c’était les ruelles. J’ai habité dans le quartier Rosemont à Montréal et on était toujours à l’extérieur, ce n’était pas comme aujourd’hui. On rentrait de l’école, on regardait deux ou trois émissions à la télévision et puis on attendait que les amis soient dehors pour aller jouer jusqu’à ce que nos mères nous appellent pour souper. On mangeait vite pour retourner dehors. Tout ce qu’on voyait à la télévision, on le refaisait dehors : on jouait à kicker la canne, à la cachette ou à courir derrière le bicycle. C’était des jeux essentiellement physiques et quand il pleuvait, je jouais aux cartes avec ma mère. Les fins de semaine, quand les oncles et les tantes venaient à la maison, on dansait dans la chambre avec les cousins et cousines et on les entendait jouer aux cartes : s’ils étaient quatre, ils jouaient au 500 et s’ils étaient plusieurs, ils jouaient aux cennes : ils avaient un gros pot de cennes noires qu’ils partageaient en gang. Ils faisaient des jeux différents toute la soirée et ils misaient. Ça criait, ça avait du fun, ça fumait, ça buvait. Ce brouhaha de bonheur, je l’ai retrouvé une des premières fois que le Randolph était plein. En fermant les yeux, j’ai eu une grande émotion en moi et je me suis rendu compte que j’avais créé ce projet pour revivre ces choses-là. Un des plus grands accomplissements, c’est d’y voir des jeunes de 18 à 30 ans autour d’une table sans se préoccuper de leur téléphone.
Quelle est la place du jeu dans ta vie d’adulte ?
Jouer avec mes amis a souvent été une soupape de ma colère. Et quand cette colère-là a été réglée, j’ai commencé à être un meilleur acteur. Le jeu c’est aussi ma vie professionnelle, je n’ai jamais dit à mes enfants que j’allais travailler. Si je ne dormais pas, je me crois bien capable de jouer 20 heures par jour. Si je sais que j’ai des journées de tournage ou de répétition au théâtre, c’est comme si j’étais dans mon salon et si je sens que je n’ai pas le temps de jouer à un jeu de table, je prendrai le temps de faire des mots croisés le matin, niveau facile, moyen et difficile et le sudoku. Après tout cela, je peux commencer ma journée.
Pourquoi étais-tu en colère ?
Je crois que ça remonte à loin. Quand j’étais dans le ventre de ma mère, mon père a eu un accident qui lui a fait perdre ses deux jambes. Mes parents étaient de grands danseurs et quand l’accident est arrivé, ma mère a failli me perdre. Je me suis accroché comme un fou. Et toute sa peine, sa colère, l’injustice et ses cris de grand désarroi qu’elle poussait sont devenus miens. Pour moi, c’est sûr qu’elle venait de là ma colère. Je l’ai portée en étant le bâton de vieillesse de la famille parce que j’étais le dernier. J’ai porté cette douleur en étant celui qui soutenait cette famille-là coûte que coûte. Mais, tu ne peux pas demander cela à un humain.