« Bonjour, bon matin, L’Itinéraire, passez une bonne journée. »
Ceci est mon indicatif de vente que je répète tous les matins à la station Place-d’Armes. Je vous vois passer devant moi, pressés par le travail et l’angoisse de ne pas arriver à l’heure pour ne pas se faire disputer par le patron, la patronne. Surtout le lundi matin. Quoi de pire que la routine métro boulot dodo ? Quelle horreur !, me direz-vous. Imaginez un instant qu’on vous délivre de cette vie ?
Youpi ! Plus d’obligations, de responsabilités, l’État s’occupe de vous (on s’entend, avec une soumission au plus bas soumissionnaire, très en dessous du seuil de la pauvreté, c’est une autre histoire). Vous êtes libres et pauvres, et vous n’avez plus les collègues chiants, les conflits de travail. Il vous faudra aussi faire des sacrifices, dont un gros : mettre une croix sur le partage, la joie, les échanges… Bref, le contact humain.
On vous verra peut-être plus tard faire carrière comme épave dans les marches d’une station de métro ou sur les bancs du quai. Si vous ne devenez pas trop agressif, vous aurez accès à la soupe populaire. Sinon il restera les vidanges et votre système D. Quelle option prendriez-vous ? Vivre aux frais de l’État pauvrement, sans responsabilités et obligations, ou continuer de penser que votre vie est monotone et grise ? Rappelez-vous les paroles d’un grand sage de chez nous, Félix Leclerc : Le meilleur moyen de tuer un homme, c’est de le payer à ne rien faire.
Le manque d’éclat de la routine métro-boulot-dodo, c’est encore mieux que d’espérer que la santé vous revienne, que vos jambes vous soutiennent, que vous n’ayez plus à vivre assis sur une chaise. Lorsque je vous vois tous les matins, je vous envie, j’aimerais retourner à la bagarre, jouer dans le trafic, jouer du coude dans l’escalier pour arriver à l’heure, me sentir vivant.
Je ne vais pas m’épancher sur mon sort. Je vous souhaite juste d’apprécier votre « misère ».
« Bonjour, bon matin, L’Itinéraire, passez une bonne journée. »