Matthew Pearce quittera ce mois-ci son poste de PDG après plus de 12 ans à la Mission Old Brewery. C’est la plus grande ressource pour les hommes sans-abri au Québec et la plus importante pour les femmes sans-abri au Canada. À quelques jours de son départ, il a accepté de partager certaines de ses réflexions avec L’Itinéraire.
Septembre 2020. C’est le mois qu’a choisi Matthew Pearce pour tourner la page. « Être itinérant en 2020, note-il, c’est aussi dur que ce l’était lors de mon arrivée à la Mission en 2008. Les services des organismes, comme la Mission Old Brewery ont beaucoup évolué, mais malheureusement l’itinérance a persisté. »
L’itinérance a pris de nouveaux visages, constate-t-il. « Dans les dernières décennies, on a beaucoup appris sur la réalité des femmes en itinérance. On a une meilleure sensibilité, une meilleure compréhension de leurs réalités qui sont nettement différentes des celles des hommes. L’itinérance est également en hausse chez les Premières Nations et chez les Inuits. »
La récente pandémie a frappé fort et fait des victimes. « Je n’ai pas de données solides sur la COVID, mais c’est sûr que la pandémie a eu un impact sur une population qui vivait déjà dans la marge. Les gens qui avaient déjà une vie précaire ont fini à la rue. Ces jours-ci, des gens se présentent à notre porte pour la première fois. Ils nous disent qu’ils ont perdu leur emploi et leur appartement. »
« Ce dont je suis fier »
Dans un communiqué qui souligne son départ, la Mission rappelle les nombreuses réalisations de Matthew Pearce. « Mais la réalisation dont je suis le plus fier n’est probablement pas dans la liste, dit-il en riant. Quand je suis arrivé en 2008, il y avait une perception généralisée dans la population que l’itinérance était un trou noir dont on ne sort pas. Que les itinérants sont des âmes perdues qui veulent être à la rue : c’était la perception populaire à l’époque. J’ose penser et croire aujourd’hui qu’à la suite de nos efforts d’éducation et de sensibilisation, il y a eu plusieurs changements. »
« La discrimination existe encore, mais beaucoup moins qu’avant, se réjouit-il. Les citoyens comprennent mieux que la population en situation d’itinérance est diverse. Les solutions ne sont pas les mêmes pour tout le monde. Je crois qu’aujourd’hui les services pour lutter contre l’itinérance offrent plus d’optimisme et de solutions, un meilleur avenir pour les gens. C’est très important. Cela n’a pas changé la qualité de la vie des personnes en situation d’itinérance, mais la population les voit autrement. Là-dedans la Mission a joué sont rôle parce que c’était l’un de nos objectifs. »
Dans le milieu, les organismes comme la Mission survivent grâce aux fonds gouvernementaux et à la philanthropie privée. Gouvernements et entreprises en font-ils assez ? « La question est plus complexe qu’il n’y paraît. Personne ne sait vraiment combien d’argent est dépensé à Montréal pour lutter contre l’itinérance. Alors c’est difficile de dire si on a besoin de plus d’argent ou si on doit mieux utiliser celui qui est déjà disponible. Je n’ai pas la réponse, mais j’aimerais bien l’avoir. »
La perception de l’itinérance a changé.
– Matthew Pearce
Une société à transformer
« Imaginons qu’aujourd’hui à Montréal il n’y ait aucune ressource pour les personnes en situation d’itinérance. Si on repartait à zéro et qu’on créait une structure pour aider chacun à s’en sortir. Si c’était ça l’enjeu, est-ce qu’on aurait seulement un copier-coller de ce que nous avons mis en place ? Est-ce qu’on aurait construit quelque chose d’autre ? J’ose croire que oui. Actuellement, il y a plusieurs organismes dévoués et passionnés, avec du personnel dédié et talentueux, mais l’itinérance persiste. Je ne suis pas tout à fait sûr qu’on ait seulement besoin d’argent. »
Pour la suite des choses. Matthew Pearce affirme qu’il a un projet personnel « pour les premières deux semaines ». (Rires) « Je vais essayer de comprendre ce que ça veut dire de ne plus être le PDG de la Mission. » Cela sera sûrement pour lui un travail à temps plein.
« J’espère que cela sera seulement un moment de réflexion. Je n’ai pas perdu mon enthousiasme pour les bonnes causes. Je quitte la Mission avec une belle reconnaissance. Mon successeur — qui a aussi été mon prédécesseur — partage ma vision. J’ose espérer que la transition sera harmonieuse et que James Hugues sera à la hauteur des besoins de la Mission d’aujourd’hui. J’ai pleinement confiance en lui. »