«Une fois, c’t’un gars qui voulait rentrer dans l’armée. L’armée s’est tassée, y’est rentré en prison. Ce gars-là, c’est moi », blague Rémy* en ouvrant la porte de l’immeuble qui abrite la Maison Orléans. L’édifice discret, se fondant parmi les autres bâtisses de la rue résidentielle, accueille chaque semaine des détenus et des ex-détenus pour les soutenir dans leur retour à la vie hors des murs de la prison. Ce soir-là, ils sont une vingtaine à fourmiller un peu partout dans l’appartement. En attendant de passer au salon pour l’atelier de partage, certains se prennent dans les bras pour se saluer, d’autres se donnent des poignées de main sincères et chacun prend des nouvelles de l’autre, affable. Un point commun mobilise ce groupe bigarré: ils sont tous ici pour avoir commis un crime grave.
« Est-ce que quelqu’un a une bonne nouvelle à partager avant de commencer la discussion ? », lance Marc*, un des animateurs de la soirée. « J’ai joué du bon bowling cette semaine », réplique Ron*. « Moi, ma bonne nouvelle, renchérit l’animateur, c’est de constater que j’accepte et j’apprécie de plus en plus de passer des journées ordinaires. » Quelques secondes plus tard, cette question d’ouverture laisse place à des partages plus intimes. On comprend vite ce que ces hommes font à la Maison Orléans ce soir-là : ils viennent parler du travail qu’ils font sur eux-mêmes, de leur relation pas toujours évidente avec leurs agents de libération conditionnelle (ALC) et leurs conditions de probation, de leur frustration en maison de transition et des défis que leur pose la vie après les barreaux. Comme le résume bien la philosophie de la Maison Orléans, c’est un « espace sûr où les personnes marginalisées peuvent exprimer leur droit de vivre en société et mettre en œuvre des moyens d’action pour s’y intégrer et vivre en paix »
Témoignage de Denis Archambault, camelot à L’Itinéraire
Vers la vie tranquille
Denis quêtait dans le coin du métro Peel quand une personne s’est arrêtée pour lui parler de L’Itinéraire. Peu de temps après, ce n’était plus un gobelet qu’il tenait dans ses mains, mais un magazine. C’était vers la fin des années 90, juste avant qu’il ne disparaisse de son spot pour « rentrer en d’dans ».
Après quelques délits lui ayant valu des « deux moins un » (des peines de moins de deux ans purgées en établissement provincial) et des allers-retours entre la liberté et la prison, il a écopé de dix ans ferme au centre de détention fédéral à sécurité maximale de Port-Cartier. Il sera ensuite transféré « au médium », au Centre fédéral de formation (CCF), à Laval. Depuis 2018, il est en liberté conditionnelle. Il devra respecter certaines conditions jusqu’en 2032, sous peine de se faire « r’monter », un terme qu’il utilise pour désigner un retour entre les murs. S’il a déjà eu plusieurs bris de conditions par le passé, cette fois-ci, il est sérieux. Il participe depuis six mois au programme Retour à la maison de la Maison Orléans. Ce soir-là, c’est lui qui ouvre le bal quand Robin, l’animateur, questionne le groupe sur le thème de la motivation.
« J’ai juste à repenser à mon passé et c’est assez pour me convaincre. J’ai pas envie de retourner là où j’étais. Ma motivation, c’est mon miroir. Le matin, je me regarde et je me dis mes quatre vérités : « Enwaye mon cochon, aujourd’hui, c’est moi contre toi, prépare-toi ». Après la journée, je retourne au miroir et je lui dis : « C’est 1-0 pour moi ». »
Son message résonne dans le petit salon convivial, bondé. Plusieurs hochent la tête. Il puise dans ce groupe de partage des outils pour avancer. « Tu prends ce qui est bon pour toi, tu vas chercher des petites affaires à chaque conversation, j’mets ça dans ma valise. Ça me permet de continuer ma vie tranquille. »
Il sait qu’il ne pourra jamais revenir en arrière. Son crime est « impardonnable », selon lui, mais il doit apprendre à vivre avec. « C’est comme ça… sinon quoi ? » Il apprend aussi à vivre avec lui-même, dans la solitude, mais ça ne l’effraie pas. Il commence bientôt un programme en cuisine avec L’Itinéraire. Il met toutes les chances de son côté pour conserver sa liberté, car, comme il le dit si bien : « Une personne qui n’a pas connu la prison ne peut pas comprendre la valeur de pouvoir se lever à 4 h du matin et décider de manger du gâteau, de fumer une cigarette ou d’aller prendre une marche. »
Vous venez de lire un article de l’édition du 1er avril 2025.