Par Geneviève Bertrand
Journaliste affectée à la version numérique
Alors qu’Adam Raymond vendait le magazine L’Itinéraire à Terrebonne, des personnes l’ont approché pour lui offrir un emploi, que ce soit concierge, ébéniste ou pompiste. Camelot depuis mars 2016 et travailleur autonome, il a sauté sur l’occasion de travailler à titre d’homme à tout faire pour l’entreprise Recettes en Pot.
Ainsi, il obtient le contrat pour donner un coup de main afin de bâtir la salle de production, construire des meubles et des espaces de rangement et aussi pour faire le ménage. « À l’heure actuelle il y a un temps mort, mais ils me prêtent un local afin de confectionner des meubles de garderie, des casiers, des vestiaires, des tables d’ordinateurs et des tables de jeux destinés à des organismes scolaires », dit-il fièrement.
Grossir les rangs des travailleurs
Depuis un an donc, Adam se retrousse les manches et se donne corps et âme dans ce qui semble lui avoir donné un tremplin dans la vie. « Cet emploi m’apporte de la confiance, ça m’a remis sur pied. Grâce à ça, j’ai pu me louer un logement à Montréal. Je suis devenu plus autonome; je ne suis plus obligé de courir pour aller chercher des sous, admet-il. Tout en étant travailleur autonome, je décide de mes propres horaires et je fais ce que j’aime. C’est aussi moi qui détermine mon taux horaire. »
« En étant homme à tout faire, je veux me lancer dans le recyclage de meubles. Et aussi consacrer le reste de mon temps à donner un coup de main aux plus démunis. Si j’étais capable j’aimerais employer des camelots afin qu’ils travaillent pour moi. C’est un projet qui me tient à cœur. Je suis en train de travailler là-dessus. Je suis le genre de gars qui a une parole, des fois ça peut être long, mais je livre toujours la marchandise », poursuit-il.
Christine Fournier, directrice générale de Recettes en Pot, connaît Adam qui est contractuel pour son entreprise depuis novembre 2016. Étant sa patronne, elle évoque « son grand cœur », le fait « qu’il veut toujours aider », il est un travailleur « minutieux » et elle mentionne aussi sa disponibilité. « Il veut que tout le monde soit heureux et que les gens soient bien en sa présence. Ce n’est pas juste un employé; c’est quelqu’un que j’apprécie beaucoup. Mais la première fois que je l’ai vu j’ai eu peur car il est plutôt imposant. Cependant quand tu parles avec lui tu te rends compte que c’est un gros nounours ! », dit-elle en riant.
En effet, avec sa bouille ressemblant à Éric Lapointe et une carrure imposante, Adam ne laisse personne indifférent ; son ton de voix est posé et assuré, il est habillé fièrement et doté d’un regard franc.
Esprit autodidacte
Adam, 50 ans, ne l’a pas eu facile… Avec seul un secondaire 4 comme formation, il se débrouille « sur le tas ». « Ma faible scolarité ne me dérange pas; j’ai toujours réussi à vendre ma salade et à ouvrir les portes. La vraie école c’est ce que tu apprends sur place. Tout ce que je sais je l’ai appris en travaillant ou avec mon père », estime-t-il.
Tout a commencé avec des parents absents, plus occupés à travailler de 7h à 23h pour subvenir aux besoins de la famille. Adam apprend donc à se débrouiller tout seul. En 2006, suite au décès de sa femme dû à la maladie spina-bifida, il bascule dans un sentiment d’impuissance. « Nous avons été mariés pendant dix ans. C’était une grande handicapée, mais aussi une personne exceptionnelle. Ça a été les dix plus belles années de ma vie ! ».
Arrive ensuite une nouvelle conjointe dans sa vie, la relation durera cinq ans. Après une rupture amoureuse et des épreuves personnelles, Adam devient itinérant. C’est alors qu’il prend l’habitude de dormir dans les parcs et se retrouve à la rue du 22 juin 2015 jusqu’au mois de septembre.
« Je voulais mettre fin à mes jours et j’ai rencontré un sans-abri qui m’a dit de me donner encore 24 heures avant de commettre l’irréparable. J’ai pilé sur mon orgueil et j’ai appelé ma mère, qui m’a hébergé pendant un certain temps », relate-t-il.
Retrouver le goût de vivre
C’est en rejoignant les rangs de L’Itinéraire que la confiance et le goût de vivre lui sont revenus. « Le magazine m’a ouvert d’autres visions de la vie. Aujourd’hui, tout est commercialisé et les gens s’accrochent au matériel et au luxe. Moi je trouve que le matériel n’est pas nécessaire, ce qui est important à mes yeux ce sont ces trois choses : être bien entouré, avoir confiance et avoir une bonne santé », priorise-t-il, révélant du même coup qu’il n’a aucun meilleur(e) ami(e). « Les meilleurs amis, autant homme ou femme, ça n’existent plus pour moi. Quand j’étais dans la rue, aucune des mes connaissances n’est venue me donner un coup de main. Quand ce sont des purs étrangers qui t’aident, on se rend compte que le concept d’ami n’est plus ce qu’on pensait », dit-il à la fois reconnaissant et un brin désillusionné.
Atteint d’une maladie dégénérative, soit le lymphome de myophasie, diagnostiqué il y a cinq ans, Adam se sent limité. « On m’a dit que je ne me rendrais pas à 55 ans. Alors après ça, advienne que pourra », se résigne-t-il tout en remerciant la vie à chaque matin.