Notre système de justice est-il à deux vitesses ? C’est ce que tente de comprendre Pierre Craig, cinq ans après avoir quitté La Facture. Le journaliste, primé à plusieurs reprises, revient au petit écran avec Le procès, un documentaire sur le système de justice dont il critique l’inaccessibilité et l’iniquité.
C’est l’histoire d’une femme qui a vécu des hauts et des bas avec son ex-conjoint. Agressée psychologiquement, dénigrée quotidiennement, cet ex-conjoint démolit sous ses yeux des murs et des portes d’armoires. Un jour, lasse de croire qu’elle ne vaut rien, elle demande le divorce. Son ex gagne dix fois plus d’argent qu’elle. Il pouvait donc se permettre des procédures judiciaires qui s’étirent dans le temps. Pour éviter le procès, il lui propose une entente. Prix de la procédure de divorce : 120 000 $. Au bout de trois ans, elle finit par accepter cette entente par dépit, même si elle ne lui convenait pas. Par dépit, car d’après son avocate, il lui aurait fallu 200 000 $ de plus pour aller en procès.
Des exemples comme ceux-là, Pierre Craig en a à la pelle. Surpris par le nombre d’appels à l’aide reçus lorsqu’il était à La Facture, le journaliste croit en notre capacité à remodeler un système de justice propre à nos idéaux québécois. L’air tantôt jovial, tantôt grave, le verbe fluide et facile, la verve redoutable et insurgée, le journaliste donne la parole à cette classe moyenne qui subit l’inégal accès à la justice. Tout y est : les témoignages, les chiffres, la recherche, la documentation, l’interprétation et l’analyse en profondeur. S’ajoute à cela sa sensibilité qu’il attribue au fait que plusieurs membres de sa famille exercent dans le domaine du droit. En un mot, tout est fait dans les règles de l’art.
Devant la cour
Ce documentaire m’a beaucoup touché. J’ai eu affaire à la justice; j’aurais aimé que ça ne soit pas le cas. J’aurais souhaité ne jamais me retrouver en cour. Je passerai les détails des raisons puisque la douleur est encore vive.
À plusieurs moments dans ce recours, je me suis senti défavorisé par le système de justice. Une partie de moi ne peut s’empêcher de croire que lorsqu’on est immigrant, on a beaucoup de difficultés à comprendre les fondements de la société d’accueil et cela peut nous demander plus d’efforts pour s’y retrouver.
Nul n’est au-dessus de la loi. Mais cela ne signifie pas que le système est infaillible puisqu’il reste administré par des humains. Je me demande encore si le système a été complètement impartial à mon égard. Si je ne me sentais pas coupable, si je ne me sentais pas totalement représenté, aurais-je eu le droit de ne pas reconnaître ce jugement ? Vous savez, se trouver face à la justice est la pire des choses pour un immigrant.
Je suis le fils d’un petit fonctionnaire qui avait une minuscule propriété agricole située au Rif marocain, dans le nord du pays. Mon père a défriché une terre pendant cinq ans. Un jour, de la famille lointaine s’est autoproclamée propriétaire de cette exploitation. Ce fut le début d’une saga judiciaire qui a duré quatre décennies. Mon père a dépensé la valeur de ce bien, multiplié par les frais d’avocats et les frais administratifs en recours. Quant à ma mère, c’était une femme patiente et travaillante, quelque peu fataliste. Elle défendait son mari coûte que coûte et nous disait que personne n’aimait les tribunaux et que tout était une question de mauvais destin, mektoub.