Est-ce que nos interactions interculturelles nous rendent plus stressés, anxieux et nous causent un malaise? C’est la question à laquelle Marina M. Doucerain et son équipe ont tenté de répondre en demandant à 80 étudiants de tenir un journal intime pendant 21 jours consécutifs portant sur leurs relations interculturelles quotidiennes *.

La réponse de Mme Doucerain, professeure en psychologie sociale et culturelle de l’UQAM, est sans équivoque : oui. L’impression de ne pas savoir quoi dire, de marcher sur des oeufs, un malaise dans la discussion, voilà ce qui ressort des réponses du groupe d’étudiants âgés en moyenne de 25 ans et provenant tant du groupe majoritaire – dans le cadre de la recherche, entendre le Québécois, blanc, francophone – que du groupe minoritaire.

Alors que s’ouvre en ce début février la 33e édition du Mois de l’histoire des Noirs, quelle place réelle occupe nos échanges interculturels au quotidien et comment réagit-on au contact de l’Autre?

Se parler plus souvent

Un quart des étudiants du groupe majoritaire ont rapporté n’avoir eu aucune interaction interculturelle pendant la durée de la recherche, contre 9 % du groupe minoritaire. « Ce chiffre me surprend toujours, dit Mme M. Doucerain. À quel point, même dans un milieu universitaire diversifié, 25 % des étudiants québécois dits « de souche » n’ont rapporté aucun contact interculturel. Ça m’interpelle constamment. » L’étude démontre qu’on ne se parle pas beaucoup entre différents groupes et que ces contacts suscitent des émotions de mal-être.

Mais il y a de l’espoir, nuance-t-elle. Le malaise semble être une barrière qui se franchit à force de se parler et de se côtoyer. Une des conclusions de l’étude est que ces émotions négatives ressenties au contact de la différence ethnoculturelle peuvent devenir positives si ces échanges sont plus fréquents et réguliers. « Une analogie que j’aime bien est celle que je fais avec le jogging, dit la professeure du département de psychologie de l’UQAM. Quand on démarre un programme de course et qu’on n’en a jamais fait, c’est douloureux, on a mal aux jambes. Mais si on continue de s’entraîner, ça se passe bien et on est capable d’aller plus loin, plus longtemps et sans douleur. C’est le même principe qui s’applique dans nos relations, les débuts peuvent être malaisants, difficiles, mais plus on le fait plus ça apporte du positif. »

Mois de l’histoire des Noirs

Chaque année au Canada, le mois de février est consacré au Mois de l’histoire des Noirs. Cette vitrine sur l’histoire des personnes noires ne fait pas l’unanimité au sein même de la communauté, mais Michael P. Farkas, président de la Table Ronde du Mois, est convaincu de son utilité. Il déplore toutefois le manque de proactivité de certains médias francophones qui sont en mesure de rejoindre les gens ciblés par cette initiative.

« C’est avec les six millions de Québécois qui écoutent LCN et TVA que je veux parler!, lance-t-il au bout du fil. Où est le Québécois moyen? Il est toujours absent. C’est toujours l’ennemi, jamais l’allié, et pourtant. Tu vas avoir la représentation dans nos événements du Québécois élitiste, qui a voyagé, qui est ouvert, mais c’est pas toujours à lui que je veux parler. Dans ce six millions, bien sûr qu’il y a des ignorants qui vont toujours nous discriminer, mais je suis sûr qu’il y en a beaucoup qui aimeraient créer des liens et connaître notre histoire, parce que, quand on va à la cabane à sucre, on voit bien qu’on s’entend. »

Malgré ces opportunités manquées, il estime que le Mois de l’histoire des Noirs doit être perçu comme une carte postale, « ou comme un CD de musique que tu fais pour te faire connaître et avoir une gig dans l’année ». Un gain pour la communauté noire que les autres groupes interculturels jalousent, pense-t-il.

Marina M. Doucerain qualifie les initiatives comme le Mois de l’histoire des Noirs de « mécanismes de transition nécessaires, mais non suffisants ». Tant que nos sociétés seront structurées de manière inégale et que des populations vont être invisibles, ces mois
seront pertinents, estime-t-elle. « Si on ne se contente que d’un mois par année pour donner la parole aux communautés, c’est là le problème. Je pense que ça crée davantage de déception chez les minorités et du ressentiment chez le groupe majoritaire. »

Amitié compliquée

Est-ce difficile de créer des relations amicales au Québec? « Je l’ai entendu très souvent celle-là! Les personnes qui arrivent ici trouvent les Québécois sympathiques, facile d’accès, mais disent qu’au-delà des contacts superficiels, c’est difficile d’entrer dans leur sphère plus personnelle. »

Marina M. Doucerain a quelques hypothèses à ce sujet : l’histoire du Québec et l’esprit de conservation de sa minorité francophone, et l’effet qu’ont le froid et l’hiver sur nos relations. « Dans les sociétés où il y a un besoin de protection de l’identité, il n’est pas
rare de voir des replis, des hésitations à faire entrer l’Autre dans nos sphères intimes », pense-t-elle. L’autre hypothèse est plus spéculative, mais le rôle du froid et le besoin d’être chez soi, de se fermer, de « passer au travers l’hiver », peut expliquer l’opacité de la sphère intime des Québécois en amitié. Dans les pays plus chauds, le chez soi a tendance à se diluer avec le dehors.

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* Doucerain M, Marina. Morin, Laurence, Grégoire, Simon. Are daily intergroup interactions distressing ? And end-of-day-diary study of associations between daily intergroup interaction proportion and psychological distress / well-being. Publié dans International Journal of Intercultural Relations 95 (2023).