Cinquante ans, un demi-siècle, ça se fête. C’est un bon moment pour sortir des photos, se raconter ses souvenirs, fouiller les trésors qu’on a accumulés. À un certain âge, les anniversaires dans la fratrie peuvent se fêter en même temps.
C’est le cas pour l’exposition Bâtisseuses, 50 ans d’engagement des femmes du Centre-Sud, qui se termine le 3 mars prochain à l’Écomusée du fier monde. Plusieurs organismes qui ont vu le jour dans les années 70 dans le quartier y sont valorisés.
On se rend vite compte en visitant l’exposition que la majorité des membres des organismes communautaires sont des femmes. Les communautés religieuses soutenaient les mouvements citoyens pour la justice sociale. Ce n’est donc pas surprenant que les femmes soient à l’honneur dans cette exposition quand on pense aux sacrifices des mères monoparentales et aux luttes passées pour le droit de vote, par exemple (être reconnue comme personne capable de choisir, de penser, d’agir !). « La pauvreté : un enjeu féministe », peut-on lire sur un panneau au nom de Vivre et survivre dans le Centre-Sud.
Naissance du Comité des Bâtisseuses
Dans le secteur du Centre-Sud de Montréal, le Comité social Centre-Sud (CSCS) et le Centre d’éducation et d’action des femmes (CÉAF) se sont regroupés avec l’Écomusée du fier monde pour organiser l’exposition commémorative autour de ces modèles de femmes militantes du secteur.
Le partenariat des trois organismes a donné naissance au Comité des Bâtisseuses pour sélectionner à la fois les militantes et les enjeux de luttes populaires qui allaient se retrouver dans l’exposition. « L’étincelle de ce projet, c’est Marie-Claire Grondin, une femme très engagée dans le quartier, explique Sandrine Héroux, chargée de projets à l’Écomusée. C’est la cofondatrice du Comité social Centre-Sud. Elle a été très inspirante pour les femmes du comité de sélection. »
Visite guidée privilégiée
Un mardi après-midi neigeux de décembre, un jour où le musée est fermé normalement, nous avons eu la chance de visiter l’exposition. Marie Giro, artiste et animatrice d’atelier d’arts au Comité Social Centre-Sud, et Mme Héroux nous ont accueillis chaleureusement.
À savoir que la bâtisse de l’Écomusée du fier monde est un ancien bain public. En rentrant, nous voyons un étage consacré à la rétrospective des Bâtisseuses. Au centre de l’ancienne piscine, des tables et chaises, servent à l’animation d’événements et au deuxième étage se trouve l’expo permanente.
Différents aspects importants de la vie de tous les jours sont présents à travers l’exposition. Les luttes ne changent pas depuis des années : pour le droit aux logements, contre la pauvreté, les violences faites aux femmes… Extrait de témoignages, photos, macarons, articles de journaux, création d’un espace sécuritaire, plusieurs supports et montages ont été utilisés pour montrer les nombreuses actions de mobilisations des femmes pour améliorer les conditions de vie des gens du Centre-Sud.
Plusieurs noms de femmes inspirantes y sont rassemblés. Ce sont 13 bâtisseuses choisies, de différentes générations : la défunte cofondatrice de la friperie du Comité social Jacqueline Drouin ; une doyenne de 85 ans qui se rappelle des noms sur toutes les photos et qui est encore bénévole quatre jours par semaine ; Sandrine Labelle, plus jeune, et rédactrice des textes historiques de l’exposition, pour ne nommer que celles-ci.
J’en ai aussi appris plus sur Mireille Foisy-Hotte, organisatrice communautaire du Comité logement de Ville-Marie ; sur la soeur Nicole Jetté, l’une des dernières sœurs auxiliatrices et défenderesse du statut de résidence de personnes âgées lors d’une consultation d’arrondissement du Mont-Carmel, entre autres, et sur Widia Larivière, cofondatrice et directrice générale de l’organisme autochtone de sensibilisation aux réalités et perspectives autochtones Mikana.
« Les féministes ont popularisé de nouvelles manières de faire de la politique. Groupes d’entraide, projets d’art, grandes manifestations, coups d’éclat… tous les moyens sont bons pour se libérer ! Ces manières originales de lutter ont nourri le militantisme des générations suivantes », peut-on lire à côté d’une photo de manifestation dans la publicité de l’exposition.
La pièce de résistance
La pièce maîtresse de la salle est nulle autre que l’imposante œuvre en mosaïque de l’artiste Marie Giro, qui porte le titre La militante anonyme. Elle représente toutes les femmes qui se mobilisent, de tout âge, de tous les horizons.
Elle a utilisé des dons d’objets de femmes impliquées dans la collectivité, des boutons d’un ancien atelier de couture ainsi que des pièces achetées. Elle se rappelle l’histoire et la provenance de plusieurs de ces objets et elle en parle avec une phénoménale mémoire.
Pour l’exposition, un appel d’artiste a été lancé. Ses collègues de travail lui ont suggéré d’y répondre. Elle a donc réalisé une petite maquette qu’elle a reproduite grandeur nature. Elle n’a rien laissé au hasard, chaque partie de son œuvre symbolise quelque chose : « J’ai fait un appel pour insérer des objets de plusieurs femmes militantes. Ici la boucle d’oreille, c’est ma maman. La militante est là, poing levé. Son cœur est fait en miroir pour que tous puissent se voir en elle. On voit aussi cinq morceaux superposés, cinq poings levés, cinq décennies, des couleurs de peaux différentes, pour représenter les époques et la diversité des femmes. »
Pendant un moment, nous discutons devant l’œuvre, à mi-chemin du parcours. L’artiste passionnée a beaucoup à dire sur ce travail auquel elle a consacré près de 510 heures prises sur ses vacances et ses soirées.
Sur l’œuvre, des cheveux font des mouvements de vague pour représenter le fleuve. On aperçoit aussi des sous noirs et des boutons représentant la lutte contre la pauvreté. « Je voulais représenter les bâtiments importants du Centre-Sud. On a le CÉAF, l’Espace libre, le Comité social, le marché Saint-Jacques, l’Écomusée et la résidence Mont-Carmel », explique l’artiste.
Marie Giro réalise des mosaïques depuis 12 ans : « J’ai ma mentor en mosaïque, Isabelle Gauthier. Sa devise c’est : Transformer le monde un morceau à la fois. »
Poursuivre la lutte citoyenne
L’exposition est un bel hommage à l’action citoyenne passée et présente pour célébrer l’implication des femmes et pour se donner la force de continuer les luttes populaires. « Ensemble, nous sommes plus fortes », est le dicton idéal exposé pour montrer l’importance du partenariat pour bâtir de meilleures conditions de vie. Plus d’organismes réunis pour une même cause équivaut à davantage de monde pour se mobiliser et faire pression. Luttons.
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