Lauréat du prix Jean-Pierre-Lizotte – Meilleure chronique libre 2023

 


Rupture
. Voilà un mot qui me donne le vertige. Un mot qui suggère le démantèlement de quelque chose. L’abandon d’autre chose. Moi, ça me fout la frousse. Ça me donne envie de me dégarnir, de m’alléger au plus sacrant, de prendre la poudre d’escampette, de courir, de m’ef- facer au plus criant. Me soustraire à cette zone ombragée et nébuleuse aussi vite que mes jambes me le permettent.

J’ai nourri cette crainte de l’abandon et du rejet de façon disproportionnée et déraisonnable pendant de nombreuses années. J’étais bien conscient que c’était la cause de mon mal-être et que cette peur avait pour seule fonction de nourrir le poids de ma souffrance.

J’étais complètement embourbé, enlisé dans mes pensées, inventant des événements, évitant les adieux, que je savais dans mon for intérieur n’être que le fruit de mon imaginaire. J’interprétais ces foutus adieux comme une forme de rejet et de disqualification. Je percevais ces «prends soin de toi», «longue vie à toi», «bonne chance» comme des belles phrases creuses toutes faites d’avance, insignifiantes et sans valeur.

La peur d’avoir peur, d’avoir mal, de souffrir émotionnellement me paralysait. Qu’il s’agisse de relations amoureuses, professionnelles ou de relations d’amitiés, je n’ai jamais aimé la confrontation. Je m’enfuyais à tire-d’aile, à toute vitesse, pour me mettre à l’abri, croyant mieux me protéger. L’émotion est un mouvement constant qui fait partie de la vie et qu’il ne faut pas ignorer. Moi je m’en suis soustrait par peur du ridicule, par peur du jugement, par peur d’être catalogué.

J’ai pris le large et je me suis égaré. Je suis naufragé des profondeurs froides, sombres et humides de l’existence. C.G. Jung a dit: « L’émotion apporte de la vérité, de la couleur, de la chaleur à notre vie et à nos relations. » J’ai mis des années à comprendre que me dérober de mes responsabilités émotives était comme me rendre à une mauvaise adresse. Aussi bien me réfugier dans les égouts pluviaux de l’angoisse.

J’ai mis des années à comprendre que les obstacles, les contrariétés et l’adversité allaient me servir dans mes efforts pour devenir une personne plus forte, plus complète et confiante en elle-même. C.G. Jung l’appelle « l’enfant en nous ». C’est lui qui définit notre personnalité, nos couleurs, nos perceptions, nos comportements. Mais c’est aussi lui que nous négligeons, et pour ça, nous en payons le prix fort. L’enfant en nous, celui que nous ignorons, nous manipule et nous fait agir et réagir de façon inconsciente. Notre incapacité à communiquer avec autrui cache et reflète nos expériences et nos blessures d’enfance enfouies. L’enfant en nous a été façonné, jour après jour, par les influences du monde extérieur. Je ne suis certainement pas un psychanalyste, mais je crois avoir compris une chose très importante: les émotions bougent de façon constante et ce mouvement émotionnel libère en moi des hormones qui correspondent à l’émotion du moment, tels la dopamine, l’adrénaline et le cortisol. Il est important comme être humain d’apprendre à identifier ses émotions, d’en connaître leur provenance et surtout de les vivre pleinement.

J’ai donné à l’enfant qui sommeille en moi la place qui lui revient en toute légitimité. Son aide très précieuse me permet de traverser de façon beaucoup plus réfléchie les épreuves et les embûches que la vie me réserve et elle m’offre une meilleure perspective de la vie en général.

Cette symbiose que je vis aujourd’hui avec l’éveil de l’enfant en moi me permet de mieux me connaître et de m’apprécier à ma juste valeur. La vie n’est pas facile, mais elle peut se traverser avec plus de souplesse. Il faut l’affronter, oser, faire preuve d’audace, ne pas avoir peur de se remettre en question, d’éliminer ce qui empeste, de boycotter le nuisible.

Être maître de soi, c’est vivre pleinement son potentiel émotif. La fuite et le refoulement devraient être bannis de nos vies, à tout jamais.


Vous venez de lire un extrait de l’édition du 1er juin 2023. Pour lire l’édition intégrale, procurez-vous le numéro de L’Itinéraire auprès de votre camelot ou abonnez-vous au magazine numérique.