Qui de mieux que la camelot, poète et auto-éditrice Agathe Melançon pour faire parler de son métier, l’éditrice, directrice littéraire et auteure, Mélissa Labonté, des Éditions Le Noroît, qui se consacre essentiellement à la poésie depuis plus de 50 ans au Québec.
L’entreprise est aujourd’hui dirigée par deux femmes, Mélissa Labonté et Charlotte Francoeur, toutes les deux dans la trentaine. Celles-ci ont une vision très actuelle de la poésie et de la nécessité d’en faire, d’en lire et d’en publier en 2024. De plus, elles s’assurent d’en faire une maison où les auteurs reconnus se mêlent aux plus jeunes, où elles « créent des moments de rencontres, de passation des savoirs », car pour nous, dit-elle, « c’est important ce mélange de générations ».
Trouver le goût de lire
Mélissa Labonté avoue d’emblée qu’elle n’était pas une grande lectrice dans sa jeunesse. C’est au cégep que sa passion pour la littérature est née, grâce à un professeur qui lui a donné le goût d’explorer. Elle s’inscrit donc à l’UQAM en études littéraires. Quelques années plus tard, à la maîtrise, elle choisit comme sujet de recherche de scruter l’engagement poétique de Fermaille, une revue militante publiée durant la grève étudiante de 2012. Ce mémoire deviendra son premier livre intitulé Faire maille, publié en 2017 chez L’instant même.
« Chez Fermaille [la revue], le principe d’espérance est aussi un principe de résistance ; sa poétique se poursuit vers ce qui n’a pas encore de nom, vers ce qui n’a pas encore eu lieu, ce qui lui permet de nouer dans l’action politique la peur à l’espoir et ainsi, de continuer à faire lien, bref de faire maille. »
Extrait de Faire maille par Mélissa Labonté, 2017.
Le parcours d’un manuscrit
Éditer des livres, c’est comme savoir jouer de plusieurs instruments à la fois. Les responsabilités se chevauchent ; plusieurs tiroirs sont ouverts, chacun avec des projets différents. Mélissa Labonté, elle, compare son travail à celui d’« un architecte qui doit s’assurer que la maison tient debout ».
Pour une éditrice, faire de la direction littéraire, c’est faire des choix, donner le ton dans le but de respecter la vision de la maison d’édition : décider des manuscrits à éditer, et de tout le travail qui suivra avec l’auteur.
Lors de la première lecture, elle s’attend à : « être surprise ! Dans les images, le choix des thèmes, le vocabulaire, etc. J’aime avoir l’impression que c’est la première fois que je lis quelque chose comme ça. Et puis dans le récit, il faut sentir un cœur qui palpite, qui bouillonne. »
Si le manuscrit convainc aussi les membres du comité, l’auteurice reçoit des commentaires sur son contenu. Ensuite, elle se réunit avec elle ou lui pour une réunion éditoriale. Elle l’accompagne dans le travail. Il y a aussi l’étape, souvent la dernière, où l’auteurice lit son texte à voix haute : « Ça nous permet de voir où ça accroche, d’entendre des mots qui détonnent. Parfois, il y a encore beaucoup de changements à ce stade-là ».
Puis vient la conception du livre comme tel : correction de la grammaire, de l’orthographe, de la ponctuation, le choix du format du livre, de sa taille, des illustrations, de la page couverture, et de la mise en page.
Quand le « nouveau-né » est là, imprimé, il reste à en faire la promotion et la mise en marché (distributeurs, représentants, libraires). Toutefois, le travail n’est pas fini, car l’équipe de la maison d’édition doit organiser les événements comme les salons du livre, contacter les médias, etc.
En entrevue, l’éditrice répond à une question clé : pourquoi le travail d’un poète est important ? Le poète est comme un miroir de la société où il vit. Il dit en peu de mots la réalité par son sentiment. Ce partage nourrit le lecteur, le fait réagir, met le doigt sur ce à quoi il ne pensait pas.
« C’est une écriture remplie d’émotions, décrit Mélissa Labonté. Écrire de la poésie, c’est se laisser aller à notre vulnérabilité, l’habiter. C’est ça être vivant, c’est être dans la vie, vulnérable. Je trouve que l’écriture poétique fait ce pari : la sensibilité. »
D’où l’importance d’en éditer, d’en faire des livres, que les lecteurs et lectrices puissent en lire, en acheter et encourager ses auteurices, parce que le charme, dit-elle, « c’est qu’il y a une économie de mots qui fait qu’on peut marquer très fort. Tu peux lire un poème dans ta journée et ça t’habite, pas besoin d’avoir le luxe du temps pour lire. »
Et ce côté punché de la poésie s’associe bien avec les actions de dénonciations sociales, comme « À qui la rue, à nous la rue » lors des manifestations de 2012. Elle répond à un besoin fondamental de dire les choses, comme ç’a été fait dans la revue Fairmaille !
L’importance des maisons d’édition en poésie
Les maisons spécialisées en poésie font ce travail essentiel de « mettre des voix de l’avant, des voix qui n’auraient pas trouvé leur place dans l’univers des romans ». Comme Marie Uguay, poétesse décédée très jeune, qui a marqué l’histoire de la poésie québécoise avec trois recueils dont le premier, Signe et rumeur, a d’ailleurs été publié chez Le Noroît en 1976.
L’intérêt d’un livre, c’est qu’il fasse son chemin jusqu’au lecteur, qu’il en crée de nouveaux, et en bonus qu’il soit choisi par les professeurs pour être étudié en classe : « Dès qu’on voit une commande scolaire de livres de poésie, c’est un beau moment. On sait que le livre va se rendre dans les mains d’élèves qui n’ont jamais lu de poésie contemporaine. »
L’avenir du livre et de l’édition
Mélissa Labonté croit à son rôle d’éditrice : « C’est une vocation qui nous nourrit tellement que c’est pour ça que je reste. C’est d’être là pour militer, pour garder le fort même si ça peut être plus précaire que d’autres professions. On veut que ça perdure les livres de poésie. » À son avis, le format papier peut très bien cohabiter avec le numérique et cela permettra à de nouvelles façons de lire de se développer.
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