J’ai toujours aimé regarder passer le ciel

Un roman-feuilleton de Sophie Voillot

Trame sonore: Cat Stevens, Father and Son

Il était passé quatre heures quand on est descendus chercher de l’ombre sur le trottoir. Avec le soleil qui tapait à la fois sur la façade arrière et sur le toit goudronné, il faisait une chaleur dévorante à l’intérieur. Jean-Louis s’est assis sur les marches de l’escalier en fer forgé.

– Je gage qu’on pourrait faire cuire un œuf au milieu de la rue.

Je n’ai rien répondu. Ma chemise indienne en coton blanc me collait à la peau. On avait déjà pris deux douches qui s’éloignaient rapidement dans mon souvenir. Comme j’ignorais que j’allais m’enfuir de la maison, avant de partir je n’avais pas pensé à me munir d’un baiseen-ville, on dit aussi fourre-tout… j’avais les jambes molles de plaisir et mon état fraîchement catapulté me donnait le vertige.

On a vu arriver Normand de loin, grand comme il était. Il a eu l’air surpris de me voir.

– Qu’est-ce que vous faites ?

– On mijote, j’ai dit. Il s’est assis sur les marches, à côté de Jean-Louis.

– Décolle, man, je me peux déjà pus, s’est écrié celui-ci en s’écartant d’un bond.

Pourtant, Jean-Louis, je ne sais pas comment il faisait, ses cheveux longs frisaient bien un peu mais sinon, pas une goutte de sueur, rien. Finalement tout le monde s’est levé et suivant la théorie selon laquelle l’air chaud monte, on a décidé d’aller prendre le frais en bas de la côte. On est descendus vers la place Jacques-Cartier en traversant le carré Viger. Ça m’a fait tout drôle de passer devant les statues de Jeanne d’Arc et Marianne qui flanquaient la façade de l’Union Française. Comme si, en m’évadant, je m’éloignais encore plus de mon pays natal.

En marchant, on a mis Normand au courant de la situation. Il hochait la tête en silence, mais il s’est frotté plusieurs fois le menton, comme pour lisser une barbe imaginaire.

– Je sais pas si vous avez entendu, a-t-il fini par souffler tandis qu’on montait vers la place Vauquelin. Mais. On bat. Un record. De chaleur. Aujourd’hui. Du jamais vu… dans toute l’histoire… ça a l’air !

Vous venez de lire un article de l’édition du 1er avril 2025.
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