PAR YVON MASSICOTTE
Camelot, métro Université-de-Montréal
Lors de son entrevue pour Radio-Canada, le grand réalisateur Denys Arcand renchérit auprès de René Homier-Roy : « Je voulais faire un portrait de la société, de l’intelligence et du rapport de l’argent entre ceux qui en ont et ceux qui n’en ont pas. » Un bon résumé de l’inspiration principale du film.
L’inspiration
Denys Arcand était mon client. Nous avions l’habitude de jaser ensemble. Je lui racontais mon passé. Les aléas de la vie qui m’ont poussé là où je suis aujourd’hui. Qu’avant tout cela, j’étais à mon compte pendant près de 30 ans et que, dépourvu d’assurance privée, un accident m’avait finalement conduit à la rue. Ce n’est qu’après quatre ans que je réussis à retrouver un logement. Mais ce n’était pas tout. Bien qu’autodidacte dans plusieurs domaines, je n’arrivais pas à retourner sur le marché du travail conventionnel, faute de certifications. Et c’est avec L’Itinéraire que je regagnai l’estime de moi en m’impliquant et en créant des liens avec mes clients, dont M. Arcand.
Sans aucun doute, le film parle d’argent; il n’est d’ailleurs pas toujours entre les meilleures mains. Il conte aussi cette richesse, celle qui fait assez bon ménage avec la criminalité et montre la pauvreté qui parfois conduit les gens à la précarité, voire l’itinérance.
Alexandre Landry joue le personnage de Pierre-Paul; un livreur de courrier au revenu très modeste qui, dès la première scène, parle du handicap qu’est l’intelligence. Lui détient un doctorat en philosophie. Une circonstance surviendra et sa réalité prendra une tournure inattendue qui mettra ses valeurs à rude épreuve. Le film commence et dévoile au fur et à mesure le pouvoir de l’argent et sa complexité. Pour gérer le virage que sa vie prendra, Pierre-Paul s’entourera de « conseillers », fins connaisseurs du crime organisé de la haute finance.
Un reflet de société
En parallèle, il y a Jean-Claude joué par Vincent Leclerc, un sans-abri vendeur du journal de rue Le Parcours; un camelot, comme moi. Ces deux personnages liés d’amitié sont le cœur de l’humanité du film.
Ce film est marquant! Tant par le portrait de la société qu’il dépeint que par quelques scènes bien précises. D’ailleurs, pour les gens sensibles à la violence, fermez les yeux quelques secondes, ça peut faire mal.
Des scènes qui m’ont le plus marqué, il y a celle où le camelot vend son journal à Pierre-Paul et que celui-ci donne de l’argent à une mendiante : un reflet de la vie courante. Ensuite, la scène du bar. Pierre-Paul paie un café à son ami Jean-Claude. Et ce dernier, très fier de pouvoir lui aussi faire sa part, sort de sa poche ses revenus de la journée, quelques dollars, pour payer la prochaine traite.
Leur amitié et l’empathie de Pierre-Paul seront décisifs pour ce camelot. Sans dévoiler la chute du film, il recevra un cadeau d’une valeur inestimable à ses yeux qui le mettra dans une position que je connais bien aussi, celle du malaise face à l’aide qu’on peut nous offrir.
J’ai été à sa place, sans-abri. À ce moment-là, je ne sais pas si j’aurais pu accepter une telle offre; tout simplement par orgueil. Avec le temps, j’ai compris que l’aide proposée ne peut qu’être bénéfique pour le cheminement d’une personne qui traverse une étape difficile de sa vie.
À la fin du film, les scènes d’itinérance ne pouvaient que me rappeler celles de souffrances que j’ai pu vivre et voir. Je me suis mis à pleurer. Au moment d’écrire ses mots, je dois encore me retenir, car ces années m’ont marqué à vie. Pour ma part, ce film est très près de la réalité, même si sa chute n’est malheureusement pas monnaie courante. L’itinérance, je la connais depuis plus de 15 ans et ces gestes de générosité se font assez rares, mais ils existent.