Ça aura pris 20 ans avant de voir une autre gardienne de but occuper le filet d’une équipe de la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ). Ève Gascon suit les traces des Québécoises Charline Labonté et Manon Rhéaume en devenant ainsi la troisième femme à avoir joué dans le circuit Courteau. À seulement 18 ans, la jeune femme a déjà une feuille de route impressionnante. D’abord première gardienne à jouer en saison régulière dans la ligue Midget AAA, elle a fait trembler le monde du hockey en août dernier lorsqu’elle a participé à une partie présaison avec les Olympiques de Gatineau. Portrait d’une jeune hockeyeuse en territoire masculin et en pleine ascension.
De génération en génération
Quand Ève Gascon a commencé à jouer au hockey, dans sa ville natale de Terrebonne, le hockey féminin n’y existait pas. Peut-être qu’il aura fallu attendre sept médailles olympiques gagnées par l’équipe nationale pour qu’enfin le hockey au féminin se déploie plus largement sur le territoire québécois. Aujourd’hui, la plupart des jeunes filles désireuses de pratiquer le sport national peuvent le faire tant avec les garçons qu’avec leurs semblables. Mais beaucoup de chemin reste à faire dans la promotion du hockey féminin, et Ève Gascon en fait sa mission.
Le brassage médiatique a ébranlé la vie de la gardienne lorsque tous les projecteurs ont été braqués sur elle à l’automne. Si on parle davantage du fait qu’elle est une femme qui joue au hockey, et non tant de ses performances de joueuse, ce n’est pas ce qui énerve l’athlète qui évolue cette saison pour les Patriotes du cégep Saint-Laurent, en ligue collégiale masculine.
« C’est intense, oui, mais j’ai une équipe autour de moi qui m’aide et si ça peut faire la promotion du hockey féminin, c’est ça le plus important », dit-elle.
Elle fait partie d’une nouvelle génération de hockeyeuses qui ont grandi en voyant les exploits olympiques de nos Canadiennes. Charline Labonté, qui a joué 28 matchs en saison régulière avec le Titan de l’Acadie-Bathurst, avec ses trois médailles d’or au cou, est comme une grande sœur pour la jeune gardienne. « Charline est là pour moi depuis que j’ai 15 ans. J’ai eu une passe difficile au midget AAA quand je n’avais pas de victoires. Elle est là pour moi peu importe ce qui arrive. » De Manon Rhéaume à Charline Labonté, en passant par Kim St-Pierre, Ève Gascon porte la flamme à transmettre aux plus jeunes qui suivront. Elle espère que le hockey féminin deviendra un jour l’égal de son pendant masculin, en popularité comme en conditions (salariales entre autres).
Les vieilles mentalités
La gardienne étoile, qui a toujours évolué avec les gars, déplore qu’on juge inférieur le hockey féminin. C’est que la comparaison entre le hockey masculin et féminin ne tient pas. Ce sont deux styles de jeu complètement différents, estime-t-elle. D’autant plus que les conditions de performances sont loin de satisfaire aux ambitions paritaires de notre société. « C’est dur d’être à son maximum quand tu travailles le jour, tu t’entraînes le soir, tu pratiques tôt le matin, et il faut bien manger en plus de tout ça ! Les hommes c’est ça qu’ ils font à temps plein! C’est sûr qu’ils vont au bout de leur potentiel. C’est dommage qu’on n’ait pas les mêmes conditions salariales », s’indigne celle qui complète actuellement un diplôme d’études collégiales (DEC) en sciences humaines.
Elle a justement pris la décision de répartir son cégep sur trois ans, plutôt que sur deux, pour lui permettre de garder un équilibre sain entre les exigences académiques et sportives. Cette décision d’être sur les bancs d’école plus longtemps lui permettra, espère-t-elle, de percer l’alignement partant des Olympiques de Gatineau et de jouer la saison régulière 2022-2023 en LHJMQ.
La jeune hockeyeuse a toutefois conclu une entente avec l’équipe du Minnesota-Duluth, dans la National Collegiate Athletic Association (NCAA), la ligue universitaire américaine, pour la saison qui débutera à l’automne 2023. D’ailleurs, pour être admissible à jouer dans la NCAA, un joueur ne peut jouer plus de 48 heures au niveau junior canadien. Un règlement qui ne s’applique pas aux femmes et qui lui donne une ultime chance d’aller au bout de son parcours en ligue masculine. Vieux règlement, vieilles mentalités, encore.