La question de la représentativité des cultures autochtones, et plus globalement de la diversité culturelle dans les médias, n’est pas nouvelle. À l’aube de la 29e édition du festival Présence autochtone de Montréal et un an après la controverse entourant les spectacles SLĀV et Kanata, où en sommes-nous ?
Le 25 juin dernier, Marc Cassivi, journaliste de La Presse était de ceux qui s’interrogeaient sur les leçons retenues de ces controverses qui ont divisé la scène culturelle et artistique québécoise. Cette « prise de parole soudaine, par des groupes marginalisés, semble avoir porté atteinte à une certaine idée de l’identité québécoise et des « valeurs québécoises » », écrivait-il. Il n’était pas le seul : sur les réseaux sociaux, ce sont deux sujets qui déchainent les passions.
Pour André Dudemaine, fondateur de l’organisme culturel Terres en vues et à la tête du festival Présence autochtone de Montréal, il est clair que les médias n’en font pas assez sur le plan de la représentativité des cultures autochtones. Pire, il estime même qu’il y a « une véritable censure. Même si les propos de certains chroniqueurs sont parfois pertinents, il faut aussi avouer qu’ils n’ont pris que très rarement la parole quand il fallait faire des critiques cinématographiques ou culturelles et parler en bien des communautés », regrette-t-il.
Il souligne que les gouvernements provincial et fédéral font certains efforts, mais qu’il y a encore du travail à faire. En ce sens où la multiplication des canaux de diffusion, notamment par le biais des réseaux sociaux, a aussi participé à créer certaines interrogations et un espace de réflexion. « Les choses ont évolué oui, on reconnaît notre existence, mais nous sommes toujours et encore dans une liste subjective. Comment se fait-il qu’un film qui a gagné des prix prestigieux ailleurs dans le monde ne soit pas remarqué par la presse ici ? Comment se fait-il qu’une chaîne de télévision, APTN, n’apparaisse pas dans des publications des programmes de télévision des quotidiens et hebdos spécialisés ? Il y a clairement une volonté de nuire au développement culturel et économique des communautés autochtones.»
Peu de statistiques
Au Québec, exception faite de la firme Influence Communication, il n’existe que très peu, voire aucun moyen de connaître la portée d’un contenu médiatique à l’échelle de la province. S’il est vrai que leurs méthodes de calcul sont contestées par certains, il a été difficile de trouver d’autres données portant sur le poids médiatique des nouvelles et liées aux nouvelles publiées sur les communautés autochtones dans les médias québécois.
Ainsi, de façon générale, 0,08 % du contenu médiatique québécois serait alloué aux communautés autochtones, ce qui place ces nouvelles entre les 25e et 30e rangs des priorités des médias, après la météo et les faits divers.
Et, dans l’ensemble, les thèmes couverts seraient liés à la pauvreté, qui occuperait 60 % du contenu médiatique à l’occasion de la grande guignolée des médias, ou aux liens entretenus avec les services de police, les faits divers ou les dépendances aux drogues et alcools. En d’autres termes : les nouvelles positives liées aux communautés autochtones auraient encore du mal à se frayer un chemin dans les chemins de fer et grilles de programmation.
Quelques efforts sont néanmoins à souligner, comme la création en 2016 d’un espace dédié aux nouvelles autochtones par CBC/Radio-Canada, appelé Espaces autochtones. Décrit comme un site du réseau de la société d’État créé pour dévoiler, expliquer et comprendre les réalités autochtones, au moment de mettre sous presse, leur page Facebook était suivie par quelque 22 666 personnes. Aucune donnée n’a pu nous être envoyée quant au nombre de personnes atteintes par leurs publications. Reste que sur les 2,13 milliards d’utilisateurs de Facebook (dont 5,49 millions sont au Québec), on est à priori encore loin de la représentativité idéale.
Créer des liens de confiance
Spécialiste des communications, des relations publiques et du journalisme, Dominique Charron estime d’ailleurs que les médias québécois francophones doivent faire un « effort sérieux d’autocritique » pour sortir des « réflexes colonialistes ». La chercheure plaide notamment pour « ouvrir les salles de presse aux journalistes autochtones et accepter de modifier les façons de faire pour s’adapter à elles et à eux (…) et pas l’inverse », mais aussi apprendre à leur faire confiance dans la lecture des événements ainsi que l’importance à y accorder.
Plus encore, selon Mme Charron, il faudra « faciliter le développement de journalistes pour fouiller des dossiers ou créer des liens de confiance avec les communautés dans les différents réseaux (…) Il ne s’agit pas, comme c’est souvent le cas, d’intégrer les membres des Premiers Peuples aux façons de faire déjà en place, mais bien d’accepter d’entrer en relation avec eux, au point de se transformer ».
Curiosités
Melissa Mollen Dupuis, collaboratrice à l’émission Pas tous en même temps et au site web Espaces autochtones ainsi que cofondatrice du mouvement Idle No More Québec, estime pour sa part qu’il y a eu certaines améliorations. « Aujourd’hui, on pose des questions, la curiosité est présente alors qu’avant Idle No More, il y avait beaucoup plus d’ignorance, dit-elle. On sent une certaine envie de vouloir réparer cette ignorance pour la transformer en savoir, mais il y a encore beaucoup de travail quand on voit que l’on crée encore des lois racistes et discriminatoires comme le projet de loi 21 ou que l’on utilise le concept de réappropriation historique pour éteindre la voix de l’autre. »
L’animatrice estime que nous sommes présentement dans « un terrain fertile pour créer de la discrimination », en prenant les exemples relatifs à la controverse sur Kanata et le débat d’opinions sur l’utilisation ou non du mot « génocide » à la publication du rapport de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.
Mme Mollen Dupuis pense cependant qu’il y a une volonté de vouloir réparer ce qu’elle considère comme de l’ignorance culturelle. « On est capables de distinguer quelqu’un qui vient de Montréal, Laval ou Longueuil. On devrait donc être capables de comprendre qu’il y a différentes nations avec différentes cultures autochtones, d’apprendre leurs noms et de reconnaître leurs particularités tout simplement », illustre-t-elle.
Avancer ensemble
Avec le partenariat entre Netflix, Wapikoni mobile, imagineNATIVE et le bureau des productions audiovisuelles autochtones, le secteur de l’audiovisuel est en plein essor. Joint par téléphone, Odile Joannette, la directrice générale de Wapikoni mobile invitait d’ailleurs à célébrer cette reconnaissance majeure venant d’un géant de l’industrie.
Pour elle, c’est toute l’expérience « Wapi » qui est reconnue et par cette alliance qui permettra de financer des nouveaux programmes dont des cours intensifs en scénarisation, et des programmes de stage, grâce au concours du Fonds de développement des créateurs audiovisuels canadiens. « J’aime dire que le chemin est aussi important que la destination. On contribue à un effort qui est plus grand, plus collectif en donnant des ailes au niveau individuel à des jeunes, explique Mme Joannette. Le but est d’avancer ensemble dans la construction de la diversité qui compose notre société. »
Celle qui est aussi militante pour les droits des Autochtones depuis plus d’une vingtaine d’années croit en la puissance du cinéma qui, à travers la recherche et l’expression artistique, permet aux jeunes de créer des œuvres de guérison et de médiation entre Autochtones et allochtones.
Quant à la question de la représentativité des communautés, comme nos autres intervenants, Mme Joannette estime qu’il y a une sous-représentation qui persiste, frôlant parfois la ghettoïsation ou la marginalisation. Pour elle, on reste encore beaucoup dans le symbolisme lorsqu’on parle de reconnaissance culturelle et historique des Premiers Peuples. Et, bien que ces symboles soient importants pour travailler la conscience collective, « beaucoup de personnes ont encore de la difficulté à faire la distinction entre un privilège et un droit. Il faut trouver une façon de faire comprendre que les droits n’ont pas été respectés, reconnaitre les traumatismes de part et d’autre et passer à l’action réelle ». Une action qu’elle n’imagine pas complète sans le concours de la jeunesse qu’elle côtoie au quotidien.
Festival Présence autochtone de Montréal 2019
du 6 au 14 août u2022 Place des festivals
À découvrir cette année, un partenariat avec des communautés autochtones à l’international, de la Nouvelle-Zélande en passant par la Guyane française. La présence des artistes féminines donnera un écho bien particulier à cette 29e édition.