«De pire en pire», «consternant», «inquiétant». C’est par ces mots que la directrice des politiques à la Commission de la santé mentale du Canada, la Dre Mary Bartram, qualifie l’erre d’aller de la santé mentale des jeunes.

Sans surprise, la pandémie est au banc des accusés des maux des jeunes. Une situation alarmante sondée au premier trimestre 2022 par l’Université de Sherbrooke, qui révélait que 50 % des jeunes âgés de 16 ans et plus présentaient un mal-être psychologique.

Et cette réalité s’accentue; à la même vitesse que défilent les mauvaises nouvelles: urgence environnementale, crise du logement, inflation, sans oublier la guerre en Ukraine. De quoi balayer les derniers clichés d’une jeunesse soi-disant nombriliste, mais surtout de tirer la sonnette d’alarme sur l’importance des ressources qui écoutent et épaulent les jeunes vers un meilleur équilibre mental.

La fatigue, le stress, la tristesse, l’anxiété et la dépression étaient le «top 5» des émotions qui coloraient la santé mentale des 574 jeunes âgés de 12 à 17 ans, sondés il y a un an par le Regroupement des maisons des jeunes du Québec.

Du côté de l’Université de Sherbrooke, ce sont 60% dès 12-25 ans sondés pour une enquête conjointe avec le CIUSSS de l’Estrie, qui expriment un niveau d’optimisme bien faible face à leur vie en général. Fait encore plus troublant, un quart des répondants ont déjà pensé à se faire du mal ou à la mort.

De pire en pire

Si « avant la pandémie, l’état de la santé mentale des jeunes était déjà en train de se détériorer de manière assez inquiétante », rappelle la directrice, la situation ne s’est pas améliorée ».

Également professeure de politique publique de l’Université Carleton à Ottawa, Dre Bartram est très claire : « les symptômes de dépression et d’anxiété sont particulièrement consternants et la capacité des jeunes à gérer le stress est moindre. » D’où l’importance de prendre des mesures publiques qui répondent à leurs besoins actualisés. Parce qu’« on ne sait pas si ces symptômes vont persister après la pandémie, s’améliorer dans un an, deux ans. Et pour quelle proportion de la population » .

Top priority

« La santé mentale des jeunes a toujours été une top priority des différents paliers gouvernementaux », amorce la directrice qui semble cependant interpellée par le «manque d’annonce» à ce propos du budget fédéral dévoilé en avril.

Elle voit par contre d’un bon œil le nouveau plan d’action 2022-2026 en santé mentale du Québec. Notamment les axes de prévention et de promotion dans les écoles, et le déploiement du « très populaire » programme Aire ouverte. Ces lieux physiques, rattachés au système de santé publique sont dédiés aux jeunes âgés de 12 à 25 ans. Ils regroupent sous un même toit un panel de professionnels qui peuvent répondre aux préoccupations et besoins multiples des jeunes: logement, études, emploi, santé mentale, santé physique, aide juridique et financière.

« Beaucoup d’autres options s’offrent aux jeunes, dit Dre Bartram lorsqu’on lui demande par quels moyens ces derniers peuvent se faire aider. Intervenants dans les écoles, programmes d’aide de certaines universités, médecins de famille… Un mélange de services publics et privés, qui manquent cependant tous de capacités [humaines ou financières] ».

Le «811 jeunesse»

Dans le communautaire, les besoins humains aussi sont criants. Chez Jeunesse, J’écoute, un organisme d’aide en ligne, par téléphone et texto, que l’on pourrait décrire comme le « 811 jeunesse », ce sont 1 500 répondants bénévoles déployés à travers le Canada, rien que pour le service texto. Un chiffre à la fois énorme et insuffisant dit Sarah Benkirane dont le quotidien consiste à gérer l’ensemble des cliniciens et bénévoles du service. « Idéalement, il nous faudrait 500 bénévoles de plus » pour répondre au nombre croissant d’appels à l’aide des jeunes, surtout entre 23 h et 4 h du matin. »

Un véritable enjeu pour l’organisme comme pour les jeunes, car « la nuit, les gens qui se sentent seuls le sont encore plus. Ils sont laissés à eux-mêmes avec leurs pensées. Tout s’empire. »

Cybersanté

Pour aider les jeunes, les bénévoles du service texto se connectent à une plateforme en ligne et reçoivent les messages des jeunes directement dans leur fil de conversation. « Une technologie vraiment efficace », se réjouit la directrice.

Concrètement, un jeune texte le 686868 et va recevoir plusieurs messages : « Bonjour, vous avez rejoint Jeunesse, J’ écoute, à quoi pensez-vous en ce moment ? » décrit Sarah Benkirane. Puis le jeune va répondre : « Problème avec ma famille, suicide, dépression ». C’est ce partage qui permet à un algorithme, capable d’« apprendre les mots associés à des niveaux de risques élevés », de classer les textos en ordre de priorité, selon des mots clés plus urgents que d’autres comme suicide, automutilation, violence ou encore abus. Puis, les bénévoles prennent le relais au bout de trois minutes et moins.

En plus de procéder à un triage, ce système permet de « surveiller les conversations et de donner du feed-back aux bénévoles en temps réel », précise la doctorante en psychologie. Un rôle assumé par les cliniciens employés de Jeunesse, J’écoute, qui épaulent les béné- voles et « s’assurent de la bonne qualité de la conversation ».

Elle avait 14 ans

« J’ai reçu plus de 1 000 demandes de jeunes », raconte l’actuelle directrice, autrefois bénévole. J’avais déjà un bagage en psychologie, mais les débuts étaient difficiles : on se demande toujours si on va dire la bonne chose, comment le jeune va recevoir. Un jour, une jeune fille de 14 ans nous a texté. Elle venait de se faire agresser sexuellement. Elle était au dépourvu et ne savait pas à qui parler. De pouvoir faire le chemin avec elle, qu’elle se sente finalement assez à l’aise pour dire ce qui lui était arrivé, trouver des ressources pour elle, dans son milieu, et surtout voir évoluer le niveau d’intensité de ces messages… Cette conversation me restera toujours en tête. »

À travers ce souvenir, c’est le sentiment de « pouvoir redonner à la communauté et de savoir que ce jeune va se sentir un peu moins seul dans ce qu’il est en train de vivre » qui l’accompagne quotidiennement. Tout comme ces bénévoles que Mme Benkirane juge extraordinaires et « qui reviennent semaine après semaine, année après année. »