En 2013, une lectrice décrivait ainsi le centre-ville de Saint-Hyacinthe dans un commentaire, sous un article portant sur l’élection de Jeannot Caron, dans le journal Mobiles :
« […] le taux de criminalité est le plus élevé, les interventions policières sont très nombreuses, des personnes ivres mortes étendues au sol dans des états comateux, du plus petit dealer de stupéfiants au plus influent. Coin Saint-Antoine et Mondor, certains soirs nous pouvons voir des femmes au coin de la rue, bizarrement elles n’ont pas l’air d’aller nulle part »
Aujourd’hui élu municipal, Jeannot Caron connaît bien ce quartier qu’il a habité presque toute sa vie. Il a fréquenté cette faune de dealers, de prostituées et d’itinérants. Jeannot a vécu parmi eux pendant les sept années où il a oscillé entre la rue, une extrême pauvreté, et une grande fragilité psychologique.
Parler de Jeannot Caron est un prétexte. Il est surtout l’exemple d’une classe pauvre, autrefois délaissée. Son parcours depuis 20 ans montre l’amélioration du réseau communautaire et municipal de Saint-Hyacinthe pour venir en aide aux démunis.
Voici son histoire. Alors que sa vie allait bon train, vers 2003, elle a chaviré.
« Un jour, je travaillais dans ma cour, tôt le matin, et un inconnu qui passait par là est venu me dire qu’il cherchait de l’aide, relate M. Caron en entrevue. L’organisme où je l’ai envoyé était fermé. Il est revenu puis il a pris une scie. Il voulait se couper les deux jambes, il a commencé par en entailler une. J’ai appelé l’ambulance ».
S’en suivra l’incendie des deux édifices dont il était propriétaire au centre-ville de Saint-Hyacinthe et qui abritaient aussi son entreprise en construction avec sa quinzaine d’employés : « Je n’étais pas assuré, j’ai tout perdu. Et puis j’ai fait une dépression. J’avais toutes sortes de dépendances à cette époque-là: l’alcool, la cocaïne… »
Un film sur lui
Tout cela le mènera à la rue pendant trois ans. À cette période, deux finissants de l’école des médias de l’UQAM le remarquent et décident d’en faire le personnage de leur film: « Au début, je ne voulais pas qu’ils me filment, se rappelle Jeannot. Mais à chaque fois qu’ils le faisaient, il se passait des affaires. Alors j’ai fini par accepter ». On est au début des années 2000. Le film, sorti en 2008, nous montre l’homme, fin de la trentaine, qui protège son campement aux abords de la rivière Yamaska. Un difficile renversement de situation pour l’ancien chef d’entreprise et bailleur, qui subit dorénavant le regard désapprobateur des gens qui l’avaient connu.
On y voit Jeannot nettoyer les berges avec son râteau, ramasser du bois pour confectionner des objets artisanaux, et même tenter de fuir les berges à bord d’un bateau gonflable, loin des autorités policières, pour s’installer sur une île au milieu de la rivière. Son anxiété est palpable: fumant cigarette sur cigarette, l’air parfois déterminé, parfois découragé, toujours en train de revendiquer sa place auprès des policiers qui veulent le déloger.
« Dans ce temps-là, on me donnait des billets d’autobus pour aller à Montréal, tellement il n’y avait pas de ressources ici pour aider des gens comme moi! »
Les autorités lui répètent qu’il doit quitter les lieux, et après de nombreux avertissements, il reçoit amende sur amende, pour lesquelles il finira par aller en prison. On est aussi témoin de son désarroi lorsque les services municipaux jettent tous les objets amassés sur son campement (outils, vêtements, couvertures, chaises, tables, etc.) dans un conteneur.
Un «harcèlement», à l’écouter parler dans le film, qui justifie selon lui, sa première intervention en tant que citoyen au conseil municipal. Il s’en prend au manque de ressources disponibles pour des gens qui, comme lui, se retrouvent dans une situation difficile. Le maire de l’époque l’écoute, lui dit qu’il entend son message, mais l’accueil est plutôt froid. « D’ailleurs à la fin du documentaire, dit Jeannot, c’est ça que je dis: “Je vais prendre un autre chemin pour passer mon message” ».