Après Autoportrait de Paris avec chat publié en 2018, Dany Laferrière propose de nouveau un roman entièrement dessiné à la main, y compris le texte, avec Vers d’autres rives. Dans ce livre, il nous fait voyager à travers ses souvenirs, de Miami à Petit-Goâve. Il nous y parle de sa grand-mère qui a énormément influencé sa carrière d’écrivain et rend hommage aux peintres et aux poètes haïtiens.
Nous avons profité de son passage à Montréal dans le cadre du Salon du livre, pour le rencontrer à l’Hôtel Bonaventure. Cet homme de belle prestance et courtois a répondu à toutes nos questions avec générosité.
Grâce à votre livre, j’ai découvert plusieurs peintres merveilleux. Décrivez-nous les particularités de la peinture haïtienne.
Son originalité, c’est qu’il s’agit d’un art populaire. C’est-à-dire que tout le monde peint. Ce n’est pas uniquement une occupation bourgeoise ou de la classe moyenne comme on voit dans les musées en Europe. En Haïti, c’est un art à la fois de la bourgeoisie, mais en même temps des gens du peuple. Ce sont ceux qui m’intéressent d’ailleurs. Ses particularités, c’est que ce sont des couleurs primaires, des couleurs très fortes qu’on utilise avec un grand sens du coloris, et une observation du paysage, le vert des arbres, la couleur bleu turquoise de la mer et de ce qui les entoure. Et, malgré le fait qu’Haïti soit un pays très dévasté, qu’il y a une pénurie d’arbres et que la misère soit endémique, la peinture haïtienne est colorée, joyeuse, les arbres sont couverts de fruits, les enfants souriants. On ne voit pas la douleur des marchands qui portent des paniers sur leur tête. C’est une peinture pleine d’humour aussi.
Ça fait naïf un peu, non ?
Naïf ? Je dirais plutôt que la peinture haïtienne est primitive. C’est une petite différence. Ces peintres connaissent cet art même s’ils ne l’ont pas appris à l’école. Ils ont un si grand sens de la couleur. Au début on pense qu’ils ne mettent que des couleurs fortes. Après, quand on regarde attentivement, on voit qu’ils savent très bien ce qu’ils font. Ce grand sens de la couleur s’observe aussi dans la rue par la façon de s’habiller des gens. Même s’ils n’ont pas d’argent pour s’acheter des vêtements neufs, ils ont toujours une façon très appropriée, très raffinée de s’habiller. En fait, cette peinture dit simplement que c’est un peuple raffiné même dans la pauvreté.
Est-ce que Wilson Bigaud était un peintre du peuple ?
Oui. Wilson Bigaud vient de Petit-Goâve comme moi. Il était souvent au marché. Vers la fin de sa vie, il avait un peu perdu la tête. Il parlait à son coq avec qui il allait au marché. C’était un peintre qui avait un grand sens du mouvement. Il avait peint le Paradis terrestre qui a été accepté au musée de New York, je crois que c’était au MoMa [Museum of Modern Art].
Les peintres qui m’intéressent, ce sont vraiment des gens du peuple. Castera Bazile était balayeur au centre d’art quand un soir, il a voulu peindre aussi. Hector Hyppolite était un peu plus aisé. Il était hougan, c’est-à-dire un prêtre vaudou qui faisait des peintures sur les murs de son temple. Benoit Rigaud était chauffeur de taxi au début.