Qu’Alain Commu’nos-terres
Camelot épicerie Métro, Saint-Joseph/16e avenue
Autour de moi, beaucoup ont remarqué que j’ai perdu du poids. Je suis conscient que ce changement extérieur est un effet secondaire de changements intérieurs.
Enfant, la nourriture a été mon premier refuge. C’était une source de compensation face aux nombreux manques à combler. Victime d’épisodes répétés d’abus sexuels lorsque j’avais trois, cinq et huit ans, il m’était difficile de voir mon corps autrement que comme un objet sexuel. J’ai cherché à devenir repoussant afin d’éloigner les prédateurs futurs.
Vers 12 ans, mes parents se sont séparés. J’ai fait une dépression et mon poids a atteint les 190 lbs.
Évidemment, plus je m’enrobais, plus je fuyais le reflet du miroir. C’était une sorte d’automutilation sociale.
Se bâtir une armure
Peu à peu, j’ai transformé cette armure de graisse en muscles. Le sport à outrance est devenu mon deuxième refuge. De 13 à 22 ans, je me suis bâti un corps musclé et sexy comme une belle cruche qui brille à l’extérieur mais qui est sale à l’intérieur.
Adulte, il m’a été très difficile d’entrer en relation avec les femmes. Mon corps était devenu un outil pour plaire, séduire, satisfaire l’autre. Mais mon malaise persistait, nourri par ma honte insidieuse, secret impossible à partager, comme une tare à porter.
Incapable de m’engager, enfermé dans mon armure, je ne laissais pas aux femmes la possibilité de me connaître vraiment. À 24 ans, J’ai décidé de renoncer aux relations intimes. À nouveau, je me suis mis à prendre du poids, repoussant les limites extensibles de ma peau.
M’isolant par la graisse, la nourriture était ma drogue, mon sédatif. « Outremangeur », je profitais régulièrement des buffets « à volonté de mourir », qui sont une sorte de suicide assisté par ingestion de grands volumes. J’étais tanné de vivre et m’épuisais comme s’il n’y avait pas de lendemain.
Changer de paradigme
Dans ma famille il y a du diabète, et plus récemment nous nous sommes rendu compte que plusieurs personnes avaient la maladie cœliaque. C’est une allergie au gluten qui détruit le système digestif. Mon oncle en est mort.
J’ai moi-même des symptômes, mais pendant longtemps je n’y ai pas fait attention, car j’étais juste dans la survie. Je m’imaginais mourir à 40 ans parce que je brûlais la chandelle par les deux bouts. J’avais de la difficulté à croire que je pouvais vivre une vie légère. Donc pourquoi prendre soin d’une « vie poubelle » ?
Et puis, en 2012, j’ai rencontré Lise. C’était le début d’une relation intime. Avec elle, j’ai commencé à transformer mon regard sur moi-même. Avec le temps, et son affection, j’ai commencé à la laisser m’apprivoiser.
Ergothérapeute, elle a l’habitude du corps humain. Pendant longtemps, elle m’a répété que mon corps n’était pas normal, qu’il était gonflé. Elle voyait de l’œdème, de l’enflure, des ankyloses.
Se prendre en main
À l’automne passé, je me suis fait un cadeau : j’ai arrêté le blé et le sucre, en partie responsables de mes symptômes. Très vite, je n’ai plus senti d’anxiété alimentaire, ce manque qui me rongeait et qui me poussait à continuellement manger.
Si j’ai réussi cela, c’est parce que j’ai construit un sentiment d’estime. J’ai fait une suite de choix qui m’ont permis de me réapproprier mon corps et laisser fondre mon armure. C’est le principe de l’empowerment : une succession de petites réussites qui rebâtit la confiance en soi.
Plutôt que de contrôler mon corps, j’ai appris à contrôler mon esprit. J’ai compris que mon corps n’était pas une fin, pas un défi, mais juste un ami me permettant d’être plus vivant.
Le sucre et le blé font partie des poisons que j’ai choisi de ne plus mettre dans mon corps. Avec le temps, il y a d’autres poisons que je vais enlever et remplacer par des choses qui me font du bien, comme le Tai Chi, que je pratique intensément depuis un an.
Aujourd’hui ça fait six ans que je suis avec Lise. Avec elle, je suis passé de la survie à la vie. Quelque chose se construit, et je commence à concevoir que j’ai de bonnes raisons que ça dure. Parce que c’est le fun de pouvoir partager son épanouissement avec quelqu’un. Alors, je construis mon présent avec la perspective de me rendre à 110 ans.