On dit souvent que les personnes assistées sociales doivent s’intégrer à la société. Lorsqu’on dit cela, on dit surtout qu’elles doivent se trouver un travail. Plutôt que de constamment mettre le projecteur sur qui elles sont et ce qu’elles font, si on regardait un peu l’autre côté de la médaille. Et si c’était plutôt la société et les employeurs qui ne voulaient pas d’elles ?
Cela me rappelle une anecdote : il y a environ un an, j’ai eu une discussion avec un député du Parti libéral du Québec. Il me disait que de nos jours, les jeunes ne veulent plus travailler. « Dans son temps » (soit les années 90), celui-ci me confia qu’il travaillait pour une entreprise de transformation du bois qui employait tous les jeunes qui le voulaient, leur montrait le métier et leur offrait ainsi une première expérience de travail. Je lui ai demandé si cette entreprise faisait encore cela. Il m’a répondu qu’ils avaient aujourd’hui moins besoin de main-d’œuvre et qu’ils ont arrêté cette pratique, car ils manquent de temps. Eh bien !
Anecdote pas si anecdotique. Nous vivons dans un système économique que l’on doit nommer tel quel, c’est-à-dire capitaliste. Le syndicaliste Michel Chartrand le résumait de façon assez simple comme étant « le maximum de profit dans le minimum de temps ». C’est dans ce cadre que nous nous retrouvons actuellement. Ce n’est pas que les employeurs soient nécessairement de mauvaise foi. Ils n’ont plus le temps pour montrer le métier, offrir une première expérience de travail, en plus d’être compréhensifs. Il faut que ce soit rentable et rapide pour être « compétitif » !
Trouver sa place
En sept ans de militance comme allié des personnes assistées sociales, j’en ai entendu des histoires. Ce qui revient constamment c’est que les personnes cherchent sans cesse à trouver leur place dans la société. Elles ont connu l’exclusion, le rejet et le mépris que ce soit dans leur famille, à l’école ou au travail. Encore aujourd’hui, elles reçoivent du mépris sous la forme de préjugés et d’histoires négatives à leur égard. C’est un mépris qui leur rappelle ce qu’elles ont vécu dans leur vie, ce qui fait mal et les pousse à s’isoler pour en être à l’abri et trouver un peu de répit.
Nous sommes dans un monde où la performance et le travail sont valorisés alors que le travail invisible et le travail du soin est dévalorisé et non-reconnu. Il s’agit de travail – souvent assumé par des femmes et des personnes sans salaire – qui n’est pas comptabilisé dans le PIB, mais qui est important au bon fonctionnement d’une société.
Nous vivons dans un monde où on raconte des histoires sur les personnes assistées sociales sans même les connaître, ce qu’elles font, ce qu’elles ont vécu. Un monde qui cherche à les « remettre à leur place » avec des politiques coercitives et appauvrissantes comme le programme Objectif-emploi (projet de loi 70).
Malgré tout, elles essaient encore et encore de trouver leur place. Malgré tout, plusieurs font le choix de travailler pour changer les choses. À ce titre, je me dois de leur rendre un grand hommage. Un hommage à cette résilience et à cette détermination que les choses peuvent changer et que les personnes comme elles méritent mieux. Elles sont porteuses d’espoir.
Comme le disait l’éducateur et intellectuel brésilien Paulo Freire : « ce qui a été créé par les humains peut être changé par les humains ». C’est à travers cet espoir que nous travaillons ensemble, personnes assistées sociales et alliés pour transformer ce qui les opprime.
La tâche est énorme, mais il est essentiel qu’un des points de départ soit de travailler à défaire les préjugés.
Tel que je le souligne en introduction du dossier, en page 11, les préjugés sont des histoires que l’on raconte sur les personnes assistées sociales et qui existent en dépit de ce qu’elles font réellement. Cependant, ces histoires ont une vie. Ce sont ces histoires qu’on se raconte aussi lorsque vient le temps d’élaborer des politiques sociales. On construit des politiques sociales basées sur les préjugés que l’on entend encore et encore : je ne vais pas les répéter ici.
Pour aider les personnes, il faut commencer par ne pas leur nuire avec de fausses histoires.
*Yann Tremblay-Marcotte est coordonnateur du Front Commun des personnes assistées sociales du Québec