Lauréat du prix Alain-Charpentier – Meilleure chronique culturelle 2023

 

 

Si vous êtes un lecteur fidèle de L’Itinéraire, vous connaissez déjà Agathe Melançon, camelot au métro Lionel-Groulx. Vous savez que ses textes dans le magazine sont fouillés et pertinents. J’ai la chance de côtoyer Agathe régulièrement, je peux donc vous dire qu’en plus d’avoir une plume efficace, elle a une personnalité bien trempée. Lorsqu’elle participe à un atelier offert par L’Itinéraire ou par un organisme affilié, elle intervient, telle une médiatrice, avec assurance et sensibilité. Elle sait parler, elle sait écouter, aussi.

Il nous est déjà arrivé de boire un café ou d’assister à un spectacle ensemble. Ces sorties ont eu l’heur de me distraire, mais également de faire de moi une personne plus sereine et plus ouverte. Observer Agathe m’inspire beaucoup.

En plus d’être une rédactrice au magazine, Agathe est une poétesse patentée. En effet, sa bibliographie comporte cinq recueils et six collaborations à des collectifs poétiques. Le titre de cette liste qui retient mon attention, aujourd’hui, est Lignes, son plus récent opus, dont le lancement a eu lieu cet automne. J’avais hâte d’y aller, certes pour mettre la main sur un de ses exemplaires, mais avant tout pour exprimer à son autrice toute mon affectueuse admiration.

La présentation de Lignes rappelle celle de certaines publications des années 1940. En ce 75ème anniversaire du Refus global, cette ressemblance est de circonstance. Cela étant dit, la couverture de Lignes abrite une œuvre intemporelle, où hasard, croisements et divergences engendrent une abondance de possibles.

J’avais déjà parcouru Lignes, Agathe m’ayant demandé d’en commenter le manuscrit. Je l’ai relu avec joie. Il est assez substantiel pour résister à une deuxième lecture. Dans son recueil, Agathe convie son lectorat à explorer un microcosme dont l’ordonnance permet une liberté de parole jubilatoire. Dans son préambule, elle présente sa démarche. Dans un premier temps, elle a exploité un thème, la ligne, en développant son champ sémantique, pour ensuite en décliner chacun des éléments. Dans un deuxième temps, elle a eu recours à des œuvres visuelles de son cru, ses muses, comme elle les appelle, pour composer ses textes. Une large part des peintures de cette galerie ont d’ailleurs des allures automatistes. Ce dialogue entre les images et les mots résonnait fort en moi.

Le monde littéraire foisonnant ainsi forgé m’a plus d’une fois chavirée. Nourrie, aussi. En effet, après en avoir digéré les termes, j’ai comparé leur sens à celui que j’accorde aux miens. En cela, ce bouquin est à la fois universel et individuel. Il parle du temps nécessaire pour entrer et se déplacer en soi afin que

« Pointe/
Le silence/
Du ménage en profondeur »*,

loin du matériel, près de son essence. Cette méthode d’appréhension peut aussi être utilisée au quotidien, pour décrypter sa vérité, dans l’adversité comme dans le contentement. Chez Agathe, écrire et vivre procèdent du même principe. Lignes regorge donc de réflexions sur la société, l’éducation, la diversité, l’engagement, la littérature. Lucides ou naïves, toutes sont bienvenues, en cette ère désabusée.

Bien qu’ancrés dans le réel, les textes d’Agathe font des incursions dans l’imaginaire. L’instabilité provoquée par ces allers-retours estompe les limites de la pensée, décuple sa force. Les poèmes de Lignes puisent à plusieurs codes. Ils déploient des degrés variés d’intelligibilité, de rigidité, de souplesse, de concentration. Ce sont des éclats de vie, des coups de poing. La densité et la puissance de textes aussi évocateurs n’indiquent-elles pas un accès à la nature même de la poésie?

Coulante ou syncopée, incarnée ou courtoise, mais toujours personnelle, la manière d’Agathe réserve bien des surprises. Elle s’appuie sur des inversions, des jeux de reflets et d’échos, des contrastes, des séquences percutantes qui donnent du relief à l’ensemble. De surcroît, cette forme est toujours en adéquation avec la matière dont elle se fait le vecteur.

Peu importent les caractéristiques des différents poèmes d’Agathe, tous secouent, émeuvent, donnent envie de brasser les concepts, de plonger dans la création. Lorsque vous aurez lu cette œuvre, vous ne regretterez pas d’avoir accepté l’invitation de son autrice à voyager dans ses lettres, son iconographie, ses questionnements et, ultimement, dans les réalités et les rêves de tous. Et qui sait, peut-être ensuite aurez- vous, à l’instar d’Agathe, une confiance féconde en l’humanité!

Pour acheter Lignes, contactez son autrice à l’adresse: lapoetessereveuse@gmail.com ou commandez-le à votre libraire.

* Cheminement, p. 23


Vous venez de lire un extrait de l’édition du 1er décembre 2023. Pour lire l’édition intégrale, procurez-vous le numéro de L’Itinéraire auprès de votre camelot ou abonnez-vous au magazine numérique.