« L’Itinéraire, c’est bien plus qu’un magazine. » Derrière le slogan que porte notre organisme se trouve une équipe d’intervention qui accompagne chaque jour nos camelots et les personnes marginalisées du secteur. Pour répondre à la crise de l’itinérance omniprésente aux abords de nos locaux, nous avons créé le programme ad hoc AIR : Accompagnement et intervention de rue.
« You have a clean pipe ? Oh thank god! wow, thank god ! ». Maude M.-Rompré et Vincent Ozrout ont l’habitude de cette situation. Chaque semaine, les deux intervenants parcourent le secteur environnant où sont situés nos locaux, tout près de Radio-Canada et du métro Papineau, à l’extrémité est du Village. Ce lieu a fait les manchettes pour sa détérioration sociale, et L’Itinéraire, qui œuvre depuis 30 ans auprès de personnes précarisées, se devait d’apporter son expertise pour faire face à la crise qui sévit. « Ce secteur, dit Vincent Ozrout, c’est un peu un no man’s land, c’est une zone floue où c’est pas clair qui intervient. »
En plus d’assurer le suivi des besoins de toutes sortes (alimentation, logement, emploi, accompagnement social) de la centaine de camelots et participants à l’entretien et à la cuisine du café de l’organisme, le binôme va à la rencontre des gens de la rue dans un contexte souvent fragile et teinté d’une suspicion qui s’efface dès qu’ils s’annoncent: « Travail de rue, tout va bien ici ? »
Un sac bien rempli
« Quoi! t’as des bas à donner pour vrai ? », lance une personne rencontrée sous le pont Jacques-Cartier où se joue chaque matin le même scénario: l’équipe d’entretien du pont procède au nettoyage de la place en chassant au passage les flâneurs indésirables. « Ben oui, j’ai des bas », répond l’intervenant. Sur le champ, l’homme enlèvera ses souliers et remplacera ses couvre-chaussures bleus d’hôpital pour y enfiler ses nouveaux bas. En ce changement de saison, les vêtements chauds sont en demande.
Plus loin, en direction du métro Beaudry, une femme rejoint le petit attroupement autour des intervenants qui distribuent pipes à crack et à meth, des seringues, des produits d’hygiène féminine, de la bouffe, de l’eau (en grande demande), et aussi des bas, tuques, brosses à dent, savon… la liste est longue. « Do you have a couple of pipes? Thank you. Oh, and a tuque ? » Et plus loin, dans un coin isolé, un homme rencontré sur le point de s’injecter: « Salut, as-tu besoin de quelque chose ? », demandent les intervenants qui lui trouveront un garrot et resteront sur place pour s’assurer que son rituel se déroule sécuritairement.
Le monde de la rue
« Les femmes ont les mêmes besoins sauf que l’enjeu de sécurité n’est pas le même, et les ressources pour elles, souvent, débordent », dit Maude, après avoir passé un moment à discuter avec la seule femme du groupe rencontrée derrière l’épicerie. « Elle m’a dit qu’elle passerait à L’Itinéraire plus tard », dit-elle, en espérant la croiser dans la journée, la semaine, le mois.
Une autre femme arrive, avec une seule chaussure au pied et trois ou quatre épaisseurs de châles sur les épaules: « As-tu des pansements? Dans l’instabilité, mes bobos ne guérissent pas, j’aurais besoin d’une petite chambre, un petit logement, quelque chose… Les ressources, je les ai toutes faites, ça ne marche pas pour moi. J’ai assez d’argent avec mon aide sociale pour me payer une petite chambre. Je m’en fous d’être avec d’autres toxicomanes, j’en suis une, je suis capable de faire mon ménage et de m’entretenir… » Armés de patience, les deux intervenants prendront le temps de l’écouter et de la diriger vers des ressources qu’elle ne connaît pas et qui répondront à son besoin du moment: trouver un sac à dos, un soulier pour compléter la paire et d’autres vêtements chauds pour survivre à court terme.
Nous continuons notre chemin dans les ruelles qui témoignent des urgences du quotidien: aller aux toilettes, consommer, dormir, s’approvisionner… baiser. C’est l’arrière-scène des grandes artères, les coulisses d’un théâtre urbain bien réel et rodé à sa manière.
Vous venez de lire un extrait de l’édition du 1er novembre 2023. Pour lire l’édition intégrale, procurez-vous le numéro de L’Itinéraire auprès de votre camelot ou abonnez-vous au magazine numérique.