Lorsque Patrick Norman a ouvert la porte de sa maison pour accueillir le camelot-rédacteur de L’Itinéraire, Jean-Claude Nault avait des étoiles dans les yeux et les mains un peu moites. Après tout, ce n’est pas tous les jours qu’on a la chance de rencontrer une de ses plus grandes idoles ! D’autant plus qu’avec ses 50 ans de carrière, Patrick Norman n’est rien de moins qu’un livre d’histoire de la musique québécoise. Pendant près de deux heures, l’artiste a répondu aux questions de Jean-Claude, qui s’était préparé à l’entrevue en lisant la biographie Patrick, Yvon et vous qui parcourt la vie personnelle et professionnelle de cette légende du country. Au fil des ans, l’auteur-compositeur-interprète a su conquérir des fans de tous horizons, notamment grâce à son émission Pour l’amour du country. Sa longévité, sa ténacité, mais surtout son grand talent de guitariste et sa voix de velours lui ont valu le respect de ses pairs. Or ça n’a pas toujours été le cas. Si Patrick Norman, ou Yvon Éthier de son vrai nom, a souffert de son look des années 80 que lui-même juge suranné, aujourd’hui, l’artiste et l’homme s’assument pleinement.
Dans votre livre, tantôt c’est Patrick Norman qui parle, tantôt c’est Yvon Éthier. Pourquoi ?
Premièrement, ce livre, c’est l’idée de Carmel Dumas. On est amis depuis 30 ans et elle m’a parlé de faire une rencontre entre Patrick et Yvon. Ces deux-là sont liés depuis plus de 50 ans, ils ont traversé des tempêtes, eu des succès, vécu des périodes creuses, fait faillite… des épreuves comme beaucoup de monde d’ailleurs. Et aussi parce qu’on est deux là-dedans : Yvon Éthier qui paie les comptes et sort les vidanges et Patrick Norman qui a la gloire, la guitare, les feux de l’action puis qui pogne les filles. Ça n’a pas été dur pour moi de choisir la vie que je voulais. Mais ç’a fini par créer des problèmes à la longue, des discordes, des incompatibilités. Bien longtemps, j’ai vécu une double vie. En 1969, Yvon Éthier, un petit gars qui a toujours été timide, a revêtu les habits de Patrick Norman. À partir de ce moment-là, Patrick n’avait plus besoin d’être gêné. Je savais qu’Yvon était toujours en dedans de moi, mais j’avais une armure qui ne laissait rien paraître. Enfant, je me tenais tranquille dans mon coin, je n’allais pas vers les autres. Mais ç’a fait de moi une victime parce que ça attirait ceux qui étaient un peu vilains et malicieux. Ceux qui vous tapochent, qui vous crient des noms. Vous savez, on devrait étudier ces comportement-là [l’intimidation] à partir de l’enfance, ça sauverait beaucoup d’argent et des problèmes à résoudre plus tard. Tout ça m’a suivi jusque dans mon adolescence. Jusqu’à ce que je découvre la guitare. J’y ai pris plaisir et elle m’a ouvert une porte ou deux…
Et vous dites que Patrick s’est réconcilié avec Yvon. Qu’est-ce que ça veut dire ?
J’avais beaucoup de conflits intérieurs quand j’étais jeune, je me jugeais très sévèrement, j’avais une faible estime de moi. Ça m’a suivi longtemps. Et quand j’ai commencé ma carrière, il a fallu que je me batte contre ça. À mes débuts, on ne voulait pas de moi dans le show business. On me traitait comme un artiste de troisième ordre. J’avais la perruque, je faisais de l’embonpoint. Mais je me suis mis à avoir des hits dans les années 70 dont avec Mon cœur est à toi, qui a été en première position à l’émission Jeunesse animé par Jacques Salvail. Puis j’ai enregistré le thème du film Papillon, en trois langues, chanson qui a fait le tour du monde. Trop longtemps, je me diluais. Je voulais plaire au public, aux producteurs, aux palmarès, aux radios. Je travaillais pour plein de monde en même temps. Mais moi, Yvon Éthier, j’ai été mis de côté dans la vie de Patrick Norman tout ce temps-là.
Vous venez d’une famille de musiciens. Comment avez-vous appris à jouer de la guitare ?
D’aussi loin que je me souvienne, mon père avait une guitare dans les mains. Et chaque fois qu’il jouait, je m’assoyais à côté de lui plutôt que de jouer aux camions avec mes petits cousins et cousines. Les dimanches, quand il sortait sa guitare, tout le monde venait autour de lui pour chanter. Un jour il m’a donné son pick et il m’a dit de gratter les cordes pendant que lui faisait les accords. J’étais trop petit pour la tenir moi-même. Vers neuf ans, il a posé sa guitare sur mes genoux et a placé mes doigts entre les frettes. Je n’oublierai jamais le premier accord que j’ai joué : un sol ordinaire. J’ai su tout de suite que c’était réglé pour moi.