Vous êtes-vous déjà cassé une jambe ? Il semblerait que ça fait mal en tabarnik. Je me suis jamais cassé une jambe. J’ai toutefois vu ma sœur se casser le fémur lors de notre première et seule journée de ski en famille. Elle avait l’air d’avoir mal en tabarnik.
J’ai eu un super bon prof en secondaire 1. Martin. C’était le prof d’enseignement religieux, mais il nous faisait écouter du Pink Floyd.
Il nous a fait regarder Of Mice and Men et A Beautiful Mind. En secondaire un, ce prof-là nous a fait découvrir Dark Side of the Moon en plus de nous apprendre que les médicaments pour traiter la schizophrénie pouvaient causer des p’tits problèmes d’érection. Jusqu’à ce jour, j’ai toujours pas appris autant de choses en si peu de temps, à part peut-être dans mon cours de créativité à l’UQAM où j’ai appris qu’une prof portant des verres fumés à l’intérieur était incapable de voir que ses élèves se sont saoulés au lieu d’aller « se perdre dans la ville pour s’en imprégner ».
Quoi qu’il en soit, je m’estime chanceux d’avoir eu Martin en religion. Je dis peut-être n’importe quoi, mais j’ai l’impression qu’il est rare que des élèves de 13 ans se fassent parler de la maladie mentale avec autant de nuances. Je me souviens de ma feuille lignée avec trois colonnes : Schizophrénie, Bipolarité, Dépression. On devait écrire les symptômes, rattacher tel film avec telle maladie. On a un peu skippé le boute des aveugles avec la bouette pis les pains multipliés.
On apprenait que c’est pas « comme se casser une jambe ».
Ça, je l’ai entendu maintes et maintes fois plus tard, au sujet de la dépression. On s’en remet, c’est comme se casser une jambe.
Ça part d’une bonne intention, j’en doute pas. C’est comme une volonté de déstigmatiser, de dire que la dépression se traite. C’est correct. Je suis certain que ça permet à certaines personnes qui souffrent toutes seules de se donner le boost pour aller chercher de l’aide. Maaaiiiiis… Quand on me dit que la dépression c’est comme la fois où les skis de ta sœur se sont pas détachés quand elle s’est plantée sur une pente novice, j’suis comme meh…
Si ce l’était, ç’aurait été drôle que les porte-paroles et ambassadeurs du mal-être se cassent la jambe une fois par année. Pour la cause.
« Salut, je suis Érick Rémy (EXEMPLE), et aujourd’hui, pour vous montrer que la dépression, c’est comme se casser une jambe, mon amie Sophie Lorain (EXEMPLE) va me décrisser le genou avec le Gémeaux qu’elle a gagné pour son rôle dans Plan B ». POW !!!
Ce qui se soigne comme une jambe cassée, c’est une jambe cassée. La dépression est trop personnelle pour qu’elle se soigne d’une seule façon. Pour un alcoolique qui commence à être tanné de se lever le matin, des antidépresseurs qui augmentent sa tolérance à l’alcool, c’est pas tant un bon flash. Un jeune qui a développé une dépendance à la pornographie qui se ramasse dans un coin noir de sa tête parce qu’il est pus capable de bander avec une « vraie personne » dans l’intimité, des comprimés de citalopram qui lui pètent sa libido, c’est pas malade non plus.
OUI, OK, je conviens qu’il demeure possible de se casser une jambe en étant alcoolique ou en regardant d’la porn, ou encore de se casser la jambe en regardant de la porn parce que t’es trop saoul, ou encore se saouler parce que tu viens de te casser la jambe en regardant de la porn… Mais c’est pas ça mon point.
Ah pis, en passant, j’en ai pas de solutions ! J’ai juste un malaise avec cette approche-là. Parce que oui, y’en a pour qui c’est salutaire de parler de leur santé mentale à plus de gens possible, mais y’en a d’autres qui veulent qu’on leur crisse la paix avec ça. Y’en a qui ont les moyens de se payer un psy à 115 piasses de l’heure parce qu’ils font des chroniques dans des radios privées sur la fois où ils avaient oublié le papier de toilette en camping. Y’en a qui sont juste sur la RAMQ pis qui ont pas une ostie de cenne. Y’en a qui sont porte-paroles pour dire qu’y faut faire attention à sa santé mentale, qu’on se met trop de pression avec le travail, pis qui relaxent dans leur chalet après leur grosse année. Pis y’en a qui ont pas une ostie de cenne.
Depuis le cours de Martin, où on apprenait l’incidence de la vulnérabilité génétique, des antécédents familiaux et de la classe sociale sur la santé mentale, j’me suis rendu à l’évidence que pour se soigner, y faut pas un plâtre sur la jambe, y faut un salaire.