D’ici le 1er octobre, François Legault doit déposer un projet de loi pour remplacer le mode de scrutin actuel par un mode proportionnel où certains députés seraient élus dans leur comté et d’autres selon le score provincial obtenu par leur parti. « L’idée que l’on pourrait cumuler les avantages des deux systèmes est une chimère et une supercherie », dénonce le politologue Christian Dufour. Dans son dernier essai, Le pouvoir québécois menacé, l’auteur invite les Québécois à dire « Non à la proportionnelle ! ».
1 Dans votre livre, vous dénoncez le « pseudo » consensus autour de la proportionnelle. Vous pestez contre ce qu’on présente comme « une évidence » dont on n’a pas encore « démontré l’intérêt ». Pourquoi alors cette idée est-elle si populaire ?
À première vue, la proportionnelle a l’air juste, mais c’est une vision très superficielle. Chose sûre, il n’y a pas de consensus. C’est quelque chose qui n’intéresse pas l’immense majorité des Québécois. C’est un concept défendu par des élites militantes, le Mouvement Démocratie Nouvelle. Or parmi ceux qui s’intéressent au sujet, certains ont de grosses réticences et trouvent que le système actuel a des avantages. Mais ces gens-là ne le disent pas. C’est ça le gros problème. Au Québec, la rectitude politique est tellement forte, qu’on a peur de passer pour réactionnaire. Ceux qui sont contre ne le disent pas clairement. Le sous-titre de mon livre dit « Non à la proportionnelle ! » C’est le message que je veux marteler : « Dites-le que vous êtes contre ». Il ne faut pas cautionner ce que je considère comme un recul historique du pouvoir québécois.
2 « Le pouvoir québécois est le seul à être contrôlé par une majorité francophone sur le continent », écrivez-vous. En quoi le mode actuel a-t-il « bien servi la majorité francophone » ?
C’est tout un paradoxe. C’est un héritage du conquérant britannique qui a permis à la majorité francophone de se comporter, dans les faits, comme une majorité politique. Le mode de scrutin actuel favorise les régions et les francophones. La proportionnelle est dangereuse parce qu’elle manque de réalisme sur les rapports de force. Les Québécois ont perdu deux grands combats structurants avec les référendums de 1980 et de 1995. Cela a eu des conséquences négatives qui durent encore. Le Québec n’est pas indépendant. Il n’est pas reconnu comme une société distincte au sein du Canada. Il ne faut donc pas renoncer à un mode de scrutin qui nous a protégés d’une partie des conséquences négatives de nos échecs passés. Historiquement, notre mode de scrutin a permis de faire des grandes réformes, dont certaines ont été controversées dont la Loi 101. Plusieurs s’accordent à dire que le mode proportionnel va favoriser les minorités, et va rendre plus difficile l’adoption des projets de loi comme celui sur la laïcité. Or, le mode actuel favorise le pouvoir québécois au sens large. Il a ses imperfections, mais il nous donne des gouvernements forts et majoritaires qui sont congédiables et dont on peut se débarrasser. La proportionnelle a tendance à produire des gouvernements faibles, de coalition, qui ont tendance à perpétuer le même personnel politique.
3 Selon vous, la proportionnelle « diminuerait la capacité d’agir et le poids politique de la majorité francophone ». En quoi menace-t-elle le poids politique des régions et notre rapport de force avec le reste du Canada ?
Nous serions les seuls à avoir la proportionnelle. Or on est en Amérique du nord. On n’est pas en Europe ! Face au fédéral et aux autres provinces qui ont conservé le mode actuel, des gouvernements québécois de coalition seront toujours plus faibles que des gouvernements majoritaires. On n’est pas indépendants, mais on a des gouvernements qui ont la possibilité d’agir. C’est une question de réalisme politique. La proportionnelle semble plus démocratique, mais seulement sur papier. Elle correspond à une vision abstraite et statistique de la démocratie. Dans le contexte québécois, ce serait de la folie. Dans notre système, les élections se jouent en province. Tous les journalistes qui suivent les élections vous le diront : à pourcentage de vote égal, le Parti libéral – pour qui les non-francophones votent de façon assez massive – remporte toujours moins de comtés que les partis soutenus par les francophones du reste de la province. Pourquoi renoncerions-nous à ça ?
4 Un tel changement est pratiquement impensable sans la tenue d’un référendum. Pourquoi ce troisième référendum serait-il périlleux ?
Je ne réclame pas à tout prix un référendum sur le mode de scrutin, même s’il est clair qu’on ne peut pas procéder à une réforme aussi fondamentale – qui change notre culture politique, la façon de vivre notre démocratie et de gouverner une institution vieille de plus de 200 ans – sans que cela soit ratifié par les citoyens. Même si j’ai espoir que les Québécois disent non, je préfère ne pas aller en référendum. L’enjeu est énorme : on risque un recul historique du pouvoir québécois. D’ici la commission parlementaire, j’espère qu’il y aura une montée des gens contre la proportionnelle. J’espère que les contradictions vont ressortir. C’est très facile d’être pour le principe, mais le diable est dans les détails. Le pouvoir québécois, c’est le sous-sol de la maison. Le reste (la souveraineté, la société distincte ou le fédéralisme qui fonctionne), ce ne sont que des étages. On ne peut rien faire sans ce pouvoir. La réforme du scrutin attaque l’essentiel de ce que nous sommes.