Après avoir lu une série d’articles sur les enfants de la DPJ, écrite par la journaliste Katia Gagnon de La Presse, Nancy Audet a su qu’elle devait aider ces jeunes abusés, négligés et qui souffrent. Elle s’est alors offerte pour aider la Fondation des jeunes de la DPJ, en insistant sur son désir de s’impliquer. « Je ferais même le ménage de votre bureau », a-t-elle lancé à la directrice. Cette dernière, intriguée, lui a demandé: « mais pourquoi veux-tu tant t’impliquer ? » Ce à quoi Nancy Audet a répondu: « Parce que je suis passée par là. »
Après lui avoir parlé de son enfance, la directrice lui a dit: « Si tu veux aider les jeunes, il faut que tu leur racontes ton histoire. Écris-la. » C’est ce qui la convaincra de publier, Plus jamais la honte, le récit bouleversant de sa vie d’enfant battue et humiliée par sa mère, abandonnée par ses parents.
Nancy Audet a passé plus de 20 ans de sa vie adulte à cacher son passé. À avancer sans que les gens qui la côtoient soient au courant. Mais à un moment, le silence est devenu trop lourd à porter. Surtout que des jeunes continuent tous les jours de souffrir comme elle a souffert. La mort de la fillette de Granby a été un déclencheur.
« C’est correct d’être en colère, de s’insurger, c’est inacceptable ce qui est arrivé, mais maintenant, une fois qu’on s’est mis en colère, qu’est-ce qu’on fait pour la transformer en action? Moi, c’est la question qui m’obsède depuis son décès: « elle ne devait pas mourir, mais maintenant qu’est-ce que tu vas faire? » Mon action, c’est de sensibiliser les gens, parce qu’il y a urgence de santé publique. C’est pas normal qu’il y ait autant d’enfants qui subissent de la maltraitance en ce moment au Québec. »
Dans son récit sur les premières années de sa vie, on apprend que Nancy a subi des traitements épouvantables. Des abus physiques et psychologiques d’une mère à qui il aurait fallu retirer son enfant pour l’avoir blessée, agressée, poussée en bas des escaliers, enfermée à clé, livrée en pâture au pédophile du village, mise en punition sur le bord de la route, et abandonnée dans un bureau de la DPJ. Lorsque Nancy avait 7 ans, sa famille était famille d’accueil. Ces cas malheureux illustrent à quel point le système de protection des enfants part de loin.
En avant-propos de ce livre, Nancy Audet écrit: « À 40 ans, j’étais encore habitée par le sentiment que j’avais mérité les mauvais traitements subis. Je pensais encore que c’était ma faute si on m’avait abandonnée. Bien évidemment toutes ces pensées sont fausses. J’ai mis beaucoup de temps à m’en rendre compte ».
Gabriel Lavoie, participant à la rédaction, et camelot, assistait à l’entrevue. Il a lui-même été un enfant de la DPJ. Il est passé par des familles d’accueil et deux centres d’accueil dans sa jeunesse. Le passage où Nancy raconte qu’elle a été placée dans un centre jeunesse fermé a particulièrement frappé Gabriel.
Nancy — Ce n’est pas facile la vie en centre de réadaptation, ç’a été quoi ton expérience, Gabriel?
Gabriel — Moi, je contestais l’autorité de mes parents et j’avais des troubles de comportement. Par contre, j’ai toujours trouvé que c’était toujours moi qui étais en faute. J’ai compris quelque chose par exemple: le centre d’accueil, il misait sur moi. Ils ne peuvent pas enfermer mes parents, ni dire à mes parents: «agissez comme ça».
Nancy — Ce serait peut-être une bonne idée de le faire! Moi, je le dis dans mon livre.
Gabriel — Les parents ne peuvent pas mettre toute la faute sur les enfants.
Nancy — C’est important ce que tu dis là. On va travailler avec l’enfant pour qu’il change ses comportements. Mais il faut qu’on mise aussi sur les parents. Parce qu’on va travailler beaucoup avec l’enfant. Puis, pour changer un mauvais comportement, c’est prouvé, ça prend deux ans. Donc toi tu travailles fort de ton côté, puis là on se rend compte que quand il y a une réunification, ou quand il va dans sa famille pour la fin de semaine, tout ce que l’enfant a travaillé tombe à l’eau, parce que le parent continue de résoudre ses problèmes à coup de taloche en arrière de la tête. Le problème c’est qu’on travaille juste d’un côté.
Nancy — Ils m’ont demandé de me déshabiller complètement, ils m’ont donné un récipient avec du désinfectant, ils m’attendaient à la sortie de la douche, alors que moi je m’étais sauvée de la maison parce que j’en avais assez de subir de la violence, de la maltraitance. Tu ne comprends pas pourquoi c’est toi qui es punie parce que tu t’es sauvée! C’est pour ça que je comprends la colère des jeunes. L’injustice. Il y en a des enfants qui n’ont rien fait de mal.
Gabriel — Quand on est jeune, on ne s’exprime pas aussi bien qu’un adulte. Gabriel Lavoie, participant à la rédaction, et camelot, assistait à l’entrevue. Il a lui-même été un enfant de la DPJ. Il est passé par des familles d’accueil et deux centres d’accueil dans sa jeunesse.
Nancy — Ce n’est pas facile la vie en centre de réadaptation, ç’a été quoi ton expérience, Gabriel?
Gabriel — Moi, je contestais l’autorité de mes parents et j’avais des troubles de comportement. Par contre, j’ai toujours trouvé que c’était toujours moi qui étais en faute. J’ai compris quelque chose par exemple: le centre d’accueil, il misait sur moi. Ils ne peuvent pas enfermer mes parents, ni dire à mes parents: «agissez comme ça».
Nancy — Ce serait peut-être une bonne idée de le faire! Moi, je le dis dans mon livre.
Gabriel — Les parents ne peuvent pas mettre toute la faute sur les enfants.
Nancy — C’est important ce que tu dis là. On va travailler avec l’enfant pour qu’il change ses comportements. Mais il faut qu’on mise aussi sur les parents. Parce qu’on va travailler beaucoup avec l’enfant. Puis, pour changer un mauvais comportement, c’est prouvé, ça prend deux ans. Donc toi tu travailles fort de ton côté, puis là on se rend compte que quand il y a une réunification, ou quand il va dans sa famille pour la fin de semaine, tout ce que l’enfant a travaillé tombe à l’eau, parce que le parent continue de résoudre ses problèmes à coup de taloche en arrière de la tête. Le problème c’est qu’on travaille juste d’un côté. «Je me souviens particulièrement de cette soirée où ma mère a éclaté de rage. Elle serrait les dents en s’approchant de moi. Il y avait d’autres enfants que nous gardions en famille d’accueil, dont un adolescent. Elle s’est avancée vers moi et elle s’est élancée. Le coup m’a fracassé le nez et j’ai vu le sang jaillir. La douleur était si intense.» – « J’étais peut-être devenue une femme, mais quand j’arrivais près de ma mère, c’était encore et toujours la petite Nancy qui prenait le dessus. Celle qui rêvait depuis toujours de lui plaire et d’être aimée. J’étais constamment dans l’attente et dans l’espoir.» – Extraits de son livre autobiographique Plus jamais la honte Nancy et Gabriel à L’Itinéraire.
Nancy — J’en croise plein de jeunes à qui ce n’est pas la faute, aucunement. Je m’occupe depuis trois ans d’une grande fille inuite qui était en centre de réadaptation. Elle vient juste de sortir. Je lui ai trouvé un appartement en juin, elle ne m’avait rien demandé. Elle est née dans un milieu très difficile, elle a fait 20 milieux de vie, de 0 à 11 ans. On l’a déracinée 20 fois ! Elle a été ballottée… la contention, elle a commencé à subir ça très jeune, ça a laissé des traces sur son cœur. Aujourd’hui elle travaille très fort pour s’en sortir. À 11 ans, quand ils l’ont entrée en centre de réadaptation, elle était comme un animal. Elle m’a dit: «Nancy, je faisais peur». Elle avait une colère tellement forte, je la comprends, au lieu de traiter sa douleur puis de lui donner les services psychologiques dont elle avait besoin, c’était plus facile de la réprimer. J’ai de la difficulté avec la répression.
Gabriel — Est-ce que tu considères avoir réussi à guérir?
Nancy — J’ai une cicatrice et elle sera toujours là, je suis capable de vivre avec. C’est ce que j’essaie de faire avec mon livre et mes engagements. J’avais vraiment envie de transformer ça en quelque chose de plus grand que ma souffrance. Plus j’apprends à vivre avec ça, plus j’apprends à tendre la main à d’autres. Plus je me sens libérée, plus je suis heureuse. Les autres sont notre seule richesse.
« Je me souviens particulièrement de cette soirée où ma mère a éclaté de rage. Elle serrait les dents en s’approchant de moi. Il y avait d’autres enfants que nous gardions en famille d’accueil, dont un adolescent. Elle s’est avancée vers moi et elle s’est élancée. Le coup m’a fracassé le nez et j’ai vu le sang jaillir. La douleur était si intense.»
« J’étais peut-être devenue une femme, mais quand j’arrivais près de ma mère, c’était encore et toujours la petite Nancy qui prenait le dessus. Celle qui rêvait depuis toujours de lui plaire et d’être aimée. J’étais constamment dans l’attente et dans l’espoir. »
– Extraits de son livre autobiographique Plus jamais la honte
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