Geneviève Bertrand
Journaliste affectée à la version numérique
Briser le cycle de la pauvreté chez les femmes à long terme : voilà une initiative qui a éclos dans le Sud-Ouest de Montréal et qui offre de l’éducation scientifique aux jeunes filles provenant de milieux défavorisés. Ainsi, des élèves de la 3e à la 6e année du primaire participent aux ateliers des Scientifines, un organisme à but non lucratif fondé il y a 30 ans, qui permet aux jeunes filles de s’initier à la science afin de stimuler leur curiosité et éveiller leur intérêt pour des métiers et carrières non traditionnels, tout en leur permettant de s’outiller pour un avenir meilleur.
« Ces filles âgées de 8 à 12 ans manifestent un intérêt pour la science, elles se réjouissent aussi d’être avec leurs amies, c’est amusant et elles se sentent bien ici. Étant un milieu défavorisé; le quartier de la Petite-Bourgogne possède par ailleurs la plus forte concentration de HLM au Canada. De plus, 70 % de nos participantes n’ont pas le français comme langue maternelle. Elles proviennent d’une trentaine de pays différents; on a les Nations unies aux Scientifines ! », rigole Valérie Bilodeau, directrice générale de l’organisation. Ayant un baccalauréat en biologie, elle a passé deux ans en Argentine pour enseigner cette matière en plus du français. À son retour, elle se fait embaucher par Les Scientifines; une expérience qui dure depuis plus de 16 ans, d’abord comme animatrice de 2001 à 2009, et ensuite à titre de directrice générale de l’organisme. Celui-ci accueille entre 140 et 150 filles chaque année, soit 85 filles qui viennent chaque semaine, et environ 40 à 45 filles chaque après-midi.
Faire face à la société technologique
Tout en développant la relève, ce projet a pour but de sortir les femmes de la précarité économique, contrer la pauvreté et le décrochage scolaire. « En intervenant dès le primaire, on favorise l’apprentissage des mécanismes de la résolution de problèmes, on encourage la curiosité et la persévérance. Ces habiletés augmentent l’estime de soi et permettent de mieux faire face à la société technologique dans laquelle on vit », affirme sur le site web Claire Chamberland, professeure retraitée depuis 2013 de l’École de travail social de l’Université de Montréal et l’une des quatre initiatrices du projet lancé en 1987.
Il y a également une incidence sur leurs capacités cognitives ainsi que leur assurance. « Elles développent leur confiance en elles et il y a vraiment un impact; des filles super timides qui s’ouvrent, qui prennent leur place et qui s’affirment. Les Scientifines ont aussi un effet positif sur la persévérance scolaire : 95 % des 101 filles interrogées, qui participaient aux activités de l’organisme entre 2001 et 2006 et qui sont aujourd’hui âgées entre 18 et 25 ans, ont complété un diplôme d’études secondaires ou plus. De ce nombre, 78 % sont encore aux études et de celles-ci, 23 % ont choisi les sciences et technologies comme domaine d’études », souligne fièrement Mme Bilodeau, mentionnant que 17 % d’entre elles ont obtenu un diplôme universitaire. À titre indicatif, le taux de décrochage des filles de l’école secondaire Saint-Henri, dans le même arrondissement, était de 61,2 % en 2011. Bien que plus d’une sur cinq ait choisi le domaine des sciences et des technologies, plus des trois quarts d’entre elles disent que Les Scientifines a influencé leur choix de carrière.
Briser les stéréotypes persistants
Alors que les stéréotypes persistent dans le domaine des sciences, l’organisme a pensé adoucir ces inégalités sociales, en permettant aux jeunes filles d’explorer les sciences et technologies, dès l’école primaire. En plus des activités scientifiques dirigées (aide aux devoirs, activités de loisirs, sorties, expériences scientifiques, rencontres avec des femmes de carrière), la programmation régulière compte les volets Expo-sciences et l’atelier de journalisme scientifique.
Outillées pour l’avenir
« Être plus scolarisées augmente les chances des filles d’avoir accès à de meilleurs emplois. Nous tentons de développer chez elles un esprit critique pour qu’elles ne croient pas n’importe quoi et qu’elles soient mieux outillées pour faire valoir leurs droits. La plupart sont immigrantes et je ne sais pas si elles sont véritablement conscientes qu’elles sont moins nanties, se demande Mme Bilodeau. La pauvreté n’est pas juste économique. C’est difficile quand on a peu de moyens financiers d’offrir à ses enfants une panoplie d’activités où ils peuvent explorer et découvrir ce qu’ils ou elles aiment faire, leurs forces, leurs talents. Plusieurs organismes communautaires, dont Les Scientifines, oeuvrent en ce sens. »
Les Scientifines accueille à l’occasion des invitées-conférencières, soit des femmes de science ou qui font des métiers traditionnellement masculins. Ce qui permet aux jeunes filles d’avoir des modèles auxquels s’identifier et de comprendre plus concrètement ce qu’une scientifique peut faire comme travail. On les encourage à saisir les opportunités, persévérer, mettre les efforts nécessaires pour réussir même si elles ne savent pas toujours à quoi ça va leur servir. « Les filles sont curieuses. Grâce aux activités offertes par Les Scientifines, elles ont l’occasion de faire toutes sortes d’expériences amusantes qui les sortent de leur zone de confort et élargissent leurs horizons. Et avec le temps, elles se rendent compte qu’elles veulent approfondir une science en particulier, comme l’astronomie, la biologie du corps humain, etc., ce qu’elles peuvent faire dans les projets d’Expo-sciences ou l’atelier de journalisme», dit Mme Bilodeau.
Visage féminin de la pauvreté
Selon la Fondation canadienne des femmes, la pauvreté au Canada a l’image d’une femme : 36 % sont des femmes autochtones, 35 % sont des femmes membres d’une minorité visible, 26 % sont des femmes ayant une incapacité, 21 % sont des femmes à la tête d’une famille monoparentale (alors que 7 % des hommes à la tête d’une famille monoparentale sont pauvres) et 14 % sont des femmes âgées célibataires.
Lorsque les enfants sont pauvres, cela signifie habituellement que leur mère l’est aussi. Quatre-vingt pour cent de toutes les familles monoparentales ont une femme à leur tête. Cela équivaut à plus de un million de familles, qui comptent parmi les plus pauvres au pays. L’avoir net des familles monoparentales ayant une femme à leur tête est d’environ 17 000 $ seulement, tandis que celui des familles monoparentales ayant un homme à leur tête est d’environ 80 000 $. « Ces statistiques laissent croire qu’en agissant sur la scolarisation des filles, qui seront à leur tour un jour des mères, et en les aidant à prendre confiance en elles et à avoir accès à des emplois bien rémunérés, c’est aussi la génération suivante qui en profitera », observe Mme Bilodeau.
Que disent les filles des Scientifines :
« Je viens ici pour apprendre la science, par exemple la chimie. Faire de nouvelles expériences et des activités et rester entre filles. Ça fait un an que je viens aux Scientifines et j’apprécie aussi la collation. Plus tard, je voudrais faire de la couture pour faire des habits. » – Hadja, 9 ans
« J’aime faire des activités et parler avec les filles. C’est amusant lors de fêtes spéciales comme Noël, l’Halloween ou Pâques. C’est ma troisième année aux Scientifines et j’aimerais éventuellement faire des films d’animation ou bien être chanteuse. » – Issra, 10 ans
« J’aime les activités scientifiques, plus précisément la chimie. J’ai beaucoup d’amies ici. Quand je serai grande je voudrais être médecin. » – Khadija, 8 ans
« J’apprécie moi aussi les activités scientifiques comme la chimie. Moi je veux devenir une scientifique : une chimiste ! » – Danny-Ciella, 9 ans