L’auteure-compositrice-interprète atikamekw s’apprête à sillonner les routes du Québec pour présenter sur scène le fruit de son dernier effort musical. Son deuxième album Waska Matisiwin (Cercle de vie) réunit douze chansons chantées en langue atikamekw. Il raconte misères et grandeurs de son histoire et celle de sa famille, rend hommage aux ancêtres de sa communauté et appelle au respect de la Terre-Mère. Mais surtout, il porte la résilience et l’espoir.
Laura Niquay a grandi à « 103 km au nord de La Tuque », dans la communauté atikamekw de Wemotaci, là où « les arbres connaissent tous les secrets de la terre, comme les aînés qui connaissent tous les secrets des familles », comme elle le dit au bout du fil. Elle est en mission. Elle porte un message, celui de chasser la (sa) colère, car « la colère ne règle rien et l’amour est plus grand que la haine ».
Depuis Au creux des montagnes, le titre traduit de son premier album jusqu’au Cercle de vie, on peut dire que Laura Niquay en a parcouru du chemin. Waratanak, le premier opus, « n’en était pas un vrai » pour elle. Il lui a toutefois donné les bases de ce nouvel album aux sonorités indie-folk et aux textures riches et raffinées.
Revenir de loin
Rejointe chez sa mère à Wemotaci, Laura Niquay arrivait d’un premier séjour outre-Atlantique, au festival Printival de Pézenas, dans le sud de la France. Une expérience qui lui a fait travailler sa patience. « On était trois Canadiens et trois Français et nous devions monter un show ensemble. Les Français devaient débattre longtemps sur leurs idées alors que j’ai une approche plus directe, spontanée (rires). J’ai beaucoup appris et la réception a été incroyable, ils adorent la musique autochtone », dit-elle au bout du fil.
Si le succès de son plus récent album l’a menée jusqu’en terre européenne, Laura Niquay est partie de loin, avec un vécu chargé qui n’a pas toujours été dans la lumière et la paix d’esprit. Son désir de réconciliation avec elle-même se sent et s’entend.
Cet album lui a sauvé la vie, confie-t-elle, une sorte de guérison : « J’ai fait beaucoup de thérapies dans ma vie. J’ai fait des maisons de ressourcement, cinq ou six. J’ai dû chercher pourquoi je consommais. Ça vient de loin ces affaires-là. J’ai grandi là-dedans. La consommation fait partie de l’histoire familiale. Je parle au monde d’après mes expériences. Je suis passée par là moi aussi. Je n’invente rien. Je le chante et je cherche à le faire comprendre. »
Dire vrai dans sa langue
Authentique dans ses propos, Laura Niquay raconte sa vérité dans sa langue maternelle. Les douze chansons de Waska Matisiwin sont toutes écrites en atikamekw, une langue que l’artiste veut garder vivante, surtout pour les plus jeunes de sa communauté qui la perdent peu à peu. « Avec ma musique c’est facile de bien prononcer les mots et de comprendre les syllabes. J’y croyais fort que ça allait fonctionner. C’est accessible sur l’album parce que c’est lent, dit celle qui s’accompagne à la guitare sur scène. Je prends toujours le soin d’expliquer au public le texte avant de jouer la chanson. Après je joue et [le public] entre dans mon monde. On revient ensuite ensemble à la réalité, et on recommence. C’est fascinant à chaque fois. »
L’artiste chante des histoires réelles, vécues, écrites avec justesse et simplicité. Naviguant entre la tristesse et le sublime, ce sont des paroles de résilience remplies d’espoir. « On vit beaucoup de choses dans la communauté. Des deuils par-dessus deuils, qui se vivent toujours en communauté. Il y a beaucoup de suicides et de mortalité, par exemple. C’est important que j’en parle parce que je suis une femme qui s’exprime pour son peuple. Je suis ambassadrice. C’est thérapeutique pour la communauté, et ça l’a été pour moi. Je suis messagère et c’est un message d’espoir que je porte », dit l’auteure-compositrice-interprète.
Il y a quelque chose d’incantatoire quand on écoute les premières secondes de l’album qui s’ouvre sur le son du tonnerre et le chant a capella de Niquay, accompagné des artistes autochtones Kanen et Eadsé. La deuxième pièce Moteskano (Le sentier de nos ancêtres) donne le ton : « Nikinako Ketcikinako — Nikinako Ketcikinako — Soyons fières d’où l’on vient / Et soyons fières de ce que nous sommes / Marchons sur les sentiers de nos ancêtres ». Une puissante pièce avec la participation du groupe de percussionnistes et de chanteurs traditionnels, Red Tail Spirit, originaire de Kanesatake. De la musique de pow-wow, comme le dit Laura Niquay, qui ponctue son album.
Sur la ballade Aski (Terre), elle chante: « Je dois toujours être en contact / Avec la Terre-Mère / Et de ses quatre éléments / La terre, l’eau, l’air et le feu ». Une douce chanson qui lui a valu le palmarès des 25 incontournables du country québécois.
La touchante Nicim (Mon petit frère) parle des idées suicidaires de son jeune frère et du rôle de grande sœur qu’elle a dû assumer dans ces moments difficiles. « Comme toutes les grandes sœurs le font si bien / Écouter et donner conseil à leurs petits frères / Je lui ai tout simplement dit / Mon Petit frère vit ce que tu dois vivre et change », chante-t-elle en duo avec le rappeur innu Shauit. « Il a voulu le faire, une chance qu’ il m’a appelé cette nuit-là », raconte-t-elle à propos de son frère.
Chaque mot que Laura Niquay chante est bien ancré dans le réel et est porté par la langue atikamekw qui « est une langue au même titre que toutes les langues du monde ». Elle a d’ailleurs fait appel à deux technolinguistes de La Tuque pour s’assurer qu’elle utilisait les bons mots : « Et en même temps je voulais comprendre comment nos grands-pères et nos grands-mères parlaient dans le temps ».
Faire évoluer sa musique
Chez les Niquay, la musique a toujours été omniprésente : « On écoutait du CCR, du Pink Floyd, du Dire Strait. Il y avait toutes sortes de musique chez nous. J’ai beaucoup d’influences musicales. J’ai surtout grandi dans le blues avec mes oncles. J’ai envie d’explorer ce style tout en allant vers l’inconnu. Aller vers l’inconnu, c’est ma spécialité. »
Ses oncles Adélard Niquay et Arthur Petiquay ont tous deux fait carrière dans la musique dans les années 1970. Ses cousins Patrick et Louis-Philippe Boivin accompagnent plusieurs groupes et artistes autochtones.
Quand on demande à l’artiste de décrire le genre musical de Waska Matisiwin, sans hésiter elle le campe dans l’indie-folk. Guitares acoustiques, tambours traditionnels, mais aussi beaucoup de guitares électriques et une voix « sablée », comme elle le dit, frôlant le grunge par moment. C’est un son qui crée un pont entre la musique actuelle québécoise et la culture atikamekw. Loin d’être figé dans le folklore autochtone, il s’inscrit comme un des albums les plus importants et pertinents de la dernière année, tous genres confondus.
Pour cet effort musical remarquable, elle s’est entourée du réalisateur Simon Walls, « un génie de tous les instruments », dit-elle, qui a entre autres travaillé avec l’ex-Kashtin Claude Mckenzie, le chanteur sénégalais ILAM et le groupe de zydeco Le Winston Band. Simon Walls a beaucoup aidé Laura Niquay à faire évoluer sa proposition artistique et à lui donner un caractère unique et contemporain. « Il faut évoluer et la musique autochtone doit explorer des styles qui n’ont pas encore été faits. Pour cet album c’était indie-folk, le prochain sera tourné vers le blues. J’essaie de faire comprendre ça aux chanteurs innus, justement, qui sont souvent dans le même rythme et style musical. Il faut évoluer », dit Laura Niquay, qui pense déjà au prochain album.