Ce court extrait, capté autour d’un café, entre les camelots Manon Fortier et Maxime Valcourt, a émergé d’une discussion beaucoup plus profonde qu’une simple réponse lancée à la blague. De -300C l’hiver à 400C en temps de canicule, d’une urgence d’aller aux toilettes à celle de faire sa place à son spot de vente, la vie de camelot est riche en émotions. L’Itinéraire a souhaité retranscrire les propos de deux camelots échangeant sur leur réalité.
Manon : Depuis la pandémie, on n’a pas le droit d’aller aux toilettes, et même avant, on pouvait y avoir accès, mais seulement à certains endroits. Les toilettes, c’est nécessaire parce que c’est un besoin essentiel. Une suggestion serait d’installer des toilettes chimiques presque à chaque station de métro et à d’autres endroits clés de la ville.
Maxime : Et quand on demande aux commerçants, on a encore l’image, même avec le suit [ le dossard ] de L’Itinéraire, on a encore une esti d’image. Quand c’est non, c’est non. Il y a encore beaucoup de préjugés à notre endroit.
Manon : Y’en a qui brisent les toilettes et on est pénalisé. Faut pas mettre tout le monde dans le même bateau. On paye pour les autres pis de manière gratuite, sans raison, on ne nous permet pas d’y aller. C’est aussi plus facile pour un homme que pour une femme. Et aussi, quand on est dehors, l’envie est plus intense avec le froid. Il ne faut pas l’oublier, ça !
En parlant de gratuit, je me rappelle qu’à l’époque ça coûtait 10 sous pour aller aux toilettes publiques. Je me souviens qu’un jour, c’était pressant et j’avais oublié mes sous. J’ai crié : « AH NON J’AI OUBLIÉ MON 10 SOUS ! » Je suis revenue sur mes pas pour aller chercher mon argent, à la vitesse grand V, à toute allure. (Rires).
Maxime : Nous on veut travailler, mais celui qui mendie aussi est dans le besoin. Et plein de besoins. On est souvent mis dans le même paquet. C’est pas facile, dans le Quartier des spectacles, j’ai tout vu ! T’es en plein centre-ville, là !
Manon : Certaines personnes peuvent être sensibles quand elles se voient refuser l’accès aux toilettes, ou à la chaleur en temps froid. Ils ne savent pas ce que la personne vit. Avec ma veste de L’Itinéraire, ça arrive qu’on soit mieux accueilli, mais d’autres vont aussi avoir des préjugés. Mais y’a encore du bon monde qui m’encourage et qui me donne des permissions.
Maxime : C’est vrai. Ce qui m’aide à tenir le coup, moi, c’est surtout de voir ma clientèle. Quand on me dit :
« Salut Maxime, comment ça va, je suis content de te voir », c’est spécial. S’il fait froid, je vais endurer, ça fait bien des années que j’endure. Quand c’était ouvert, j’allais dans les cafés, comme au McDo. Aujourd’hui en période de grand froid, je vais réduire mon temps, je vais faire une heure, deux heures. Quand c’est fini je m’en vais. Je vends au Théâtre du Nouveau Monde (TNM), c’est sûr que c’est plate la fermeture, mais au froid qu’il faisait en janvier et février, c’était correct aussi.
Manon : Moi aussi je suis bien aimée à mon spot de vente. C’est sûr que quand tu as une certaine personnalité, les gens aiment venir vers toi. Le monde me connaît là-bas, je sais que si certaines personnes étaient méchantes avec moi, j’aurais du monde qui prendraient ma défense. Mais avec la pandémie, ça n’a pas été évident. On s’approche moins, on me parle moins.
Maxime : Moi, c’est vrai, quand j’y pense, au TNM, les gens sont tellement généreux, on est tellement aimé.
J’ai hâte que ça reprenne. Quand il fait froid, ils me laissent m’asseoir sur les petits sofas à l’entrée. C’était la seule place ! Dans le Quartier des spectacles y’ont toute vu, y’en a qui sont allés aux toilettes, qui se shootent pis toute. Mais ils me connaissent et ils m’aiment bien, ils m’ouvrent les portes pour ça. Je veux les remercier.
Manon : Une fois, un opérateur de la STM m’a crié : « Manon t’es la meilleure ! »
Je pense que c’était en 2015, j’avais lancé des fleurs à la STM dans un mot de camelot. J’ai aussi eu cette histoire d’un travailleur de la STM qui m’a fait une accolade amicale.
Maxime : Oh c’est intéressant ça ! (Rires) Les gens peuvent être généreux. Quand ils te voient travailler souvent, vaillant, poli, ils s’habituent. Quand j’écris des textes, le monde en revient pas comment c’est bon. On vient me féliciter ! Quand y fait -300 C, le monde m’encourage. J’ai toujours une réponse prête. On est habitué, on aime le monde, on aime jaser avec les gens. On est chanceux d’avoir des compliments.
La dernière fois, un acteur connu m’a donné un cadeau. Parfois il y a du monde plus craintif, mais qui veulent s’approcher, méfiant au début, mais après c’est : « Salut Max ! » On sent qu’ils viennent d’une autre classe, un autre milieu, mais on se rapproche. J’étais gêné au début, ça m’intimidait, je pensais jamais tougher avec ce genre de clientèle. C’est une clientèle chic, pas des tout nus là. Je me sens tellement accepté, je me sens en famille avec eux, j’ai fait mes preuves.
Manon : Justement, quand quelqu’un me demande si je veux me réchauffer, je le fais, mais je peux pas rester longtemps, mes clients ne me voient pas !
Maxime : Bon, c’est toi qui a le mot de la fin Manon !
Manon : Au début, quand les camelots me parlaient de vendre L’Itinéraire, dont l’un d’entre eux qui vendait devant le Jean-Coutu sur Ontario, je disais non. Je connaissais pas ça ! Mais je me suis dit que c’était peut-être pour moi. J’étais gênée dans les premiers temps. Aujourd’hui, ça fait huit ans.
Toi, ça fait combien de temps ?
Maxime : 25 ans !