Au-delà du frette
Je suis toujours perdu dans le temps. Les changements de saisons, ça me mêle comme un jeu de cartes. Quand j’estime que c’est le bon moment pour nettoyer mes p’tits souliers d’été, y’a déjà une citrouille qui pousse sur le perron de la voisine. Le temps que j’analyse les rabais sur les friandises d’Halloween, j’ai le nez rempli de morve pis les pieds gelés. Je finis toujours par être pris de court par le temps… Pourtant, maudit qu’on le sait que le frette va nous faire une clé de bras. L’hiver est sournois comme un p’tit boxeur irlandais. Ce même pugiliste qui se présente à nous chaque année avec les mêmes stratégies.
Stratégie 1: Premier contact
Y commence par quelques jabs bien solides dans les genoux, avec des soirées fraîches en septembre, quand on est encore dans les vapes de nos vacances. On trouve ça ben l’fun mettre un hoodie autour d’un feu en disant: « Eille y’a pu de bibittes hein? » Et hop, le travail d’affaiblissement est entamé.
Stratégie 2: Savates de capitalisme
Étant sadique, l’hiver s’acharne à essayer de nous endormir avec une fête commerciale où on se déguise et où on fait du porte-à-porte le temps d’une soirée aussi frette que pluvieuse.
Stratégie 3: Le cocktail empoisonné
Nous ayant gavé de sucre en enrichissant quelques multinationales au passage, il enchaîne sa routine avec des gros coups de pied dans le ventre: la pluie de novembre. Ouch! Les clous froids, les feuilles mortes, le ciel qui se retrouve en break syndical, bref, le parfait cocktail pour attiser la dépression saisonnière.
Par chance, quand vient le temps d’accueillir les bordées de neige, mon cœur se remplit de joie. Pas le choix d’être nostalgique en admirant les flocons tomber. C’est ancré en nous, les Québécois, et c’est même viscéral. En vieillissant, je constate que l’hiver m’apaise. Son tapis de neige vient camoufler un paysage urbain pollué. Les gobelets de café, les ti-masques et les mégots de cigarettes sont temporairement chose du passé. La tempête nous offre un spectacle nordique qui ne laisse pas indifférent. Comme si l’hiver nous appelait et nous invitait à profiter de lui. Comme si on devait aller jouer dehors, avoir le bout du nez rouge, le p’tit orteil gelé, de la neige dans l’toupet. Comme si la seule solution à l’hiver, c’est de le vivre à 100%.
L’hiver, c’est aussi les souvenirs. On dirait qu’on se rappelle davantage des moments réconfortants. Notre tête se souvient de ce qui nous réchauffe! Pour certains choyés, Noël c’est l’apex du bonheur familial. Pour d’autres, c’est l’alerte à l’anxiété. Car qui dit Noël, dit aussi cadeaux, du moins, c’est ce que nous rappellent tous les commerçants. On se doit de normaliser le malaise relié au temps des Fêtes. Pourquoi un moment qui se veut chaleureux et rassembleur nous imposerait une pression économique? Pourquoi doit-on se prendre la tête quand vient le temps de penser aux décors, aux cadeaux, à la bouffe… La vie, c’est pas nécessairement un magazine Véro.
Le temps des Fêtes devrait être synonyme de partage, de relâche et de quiétude. Un appel à un proche, une marche dans un parc, une discussion avec un aîné. Pas de tapis rouge, pas de bébelles, pas de faux. Une partie de hockey à la patinoire, une journée de ski, un feu à l’extérieur. Pas de grands déploiements, juste une poignée de bonnes sensations qui laissent une marque. Nos racines sont celles de gens qui ont toujours su s’adapter à la saison froide. Y’a même une fierté là-dedans. Pelleter à -30⁰C, genre. Quand je réussis à faire un passage pour que ma copine puisse sortir de la maison sans tracas après une bordée, je me sens comme un sauveteur du monde: on m’a délégué pour une mission précise, et l’humanité en dépend. Je suis le genre de fatigant qui regarde sa job de pelletage quand il l’a terminée, accoté sur sa fidèle pelle. Ça me rend heureux.
Bref, n’attendons pas l’hiver avec une brique pis un fanal et soyons fiers de pouvoir vivre quatre saisons. Quatre états d’esprits différents, quatre routines adaptées, quatre paysages à contempler. L’hiver renforce, endurcit et remet les pendules à l’heure. On change même d’année, c’est capotant pareil! Même si y’a le blues de l’hiver, les rhumes, les retards au travail… y’a aussi l’électrochoc de se sentir petit contre Dame Nature. Et en pleine crise environnementale, j’pense qu’on en a plus que besoin. Comme disait Dédé: Dans l’fond, l’hiver c’est mon ami.