Stéphane Potvin, chercheur et docteur en sciences biomédicales, Chantal Cloutier, ergothérapeute, et Mélanie Caouette, pharmacienne à l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal (IUSMM), nous expliquent les effets et conséquences du pot sur les personnes schizophrènes.

La schizophrénie, de quoi parle-t-on ?

« La schizophrénie fait partie de la grande famille des psychoses », explique Stéphane Potvin, spécialisé sur le rôle néfaste que joue le cannabis sur les structures du cerveau. « Les hallucinations, les sentiments de persécution, les idées délirantes, sont des symptômes dits positifs de la schizophrénie. Mais ce ne sont pas les seuls. D’autres symptômes affectent la capacité de fonctionner des gens. La perte de motivation en est un, tout comme l’isolement social. Il peut y avoir de l’ennui, les patients peuvent être très peu bavards, ressentir des déficits au niveau des capacités de concentration, de la mémoire. »

Il ajoute que, selon l’âge, la consommation influe sur la concentration à l’école, l’insertion en emploi, les relations avec autrui. « Il peut aussi y avoir des difficultés à comprendre le non verbal. Par exemple, si une personne est incapable d’interpréter le visage d’une autre personne et qu’elle perçoit un sourire comme étant de la colère, ça peut compliquer la relation humaine. La schizophrénie est très complexe. »

M. Potvin évoque également la perte de contact avec la réalité due aux idées délirantes ou aux phénomènes hallucinatoires. « Les idées délirantes varient en fonction de la personne, mais la prédominance des hallucinations se situe surtout au niveau auditif. Il peut également y avoir des hallucinations visuelles, olfactives. Une hallucination, ce n’est pas simplement un phénomène d’illusion comme pour quelqu’un qui a pris des champignons magiques. Le phénomène hallucinatoire, c’est d’entendre une voix qui n’est pas forcément déclenchée par l’environnement, et avoir l’impression qu’elle est réelle. Là où il y a une perte de contact, c’est qu’il y a une conviction qui vient avec ça. C’est la même chose pour les idées délirantes. »

Du plaisir de fumer à la dépendance

Plusieurs raisons expliquent le fait que de nombreuses personnes fument du cannabis. On parle d’effets recherchés. Le cannabis aide à la détente selon certains consommateurs. Ils rapportent également ressentir un sentiment de créativité.
Chantal Cloutier, ergothérapeute pour les personnes vivant avec un problème de santé mentale, précise qu’il ne s’agit en fait que d’une illusion. « Ce qu’il faut comprendre, c’est que les gens vont ressentir, par exemple, un élan de créativité. Seulement, ce n’est qu’une perception. Ils vont avoir l’idée d’être plus créatifs mais concrètement, tout est simplement plus désorganisé. Sans avoir fumé, ils n’auraient pas cette impression parce que leur perception ne serait pas modifiée par la consommation. »

Les effets du cannabis ne sont pas banals, sa consommation peut avoir des répercussions sur la santé mentale des personnes, qu’elles soient ou non sur un terrain vulnérable. Pour bon nombre des consommateurs, les raisons sont récréatives. Pour d’autres, elles peuvent être médicales ou encore sociales.

Certains développeront une dépendance, d’autres non. « Si les gens consomment de l’alcool ou de la cocaïne et non de l’eau de Javel, c’est parce que toutes les substances ont un équivalent dans le cerveau. Le classique c’est l’héroïne. Ce qui fait que les gens aiment cette drogue, c’est qu’elle a pour équivalence l’endorphine. Si le cerveau n’avait pas de système d’équivalence pour accueillir les substances, les gens n’en consommeraient pas, tout simplement parce qu’ils ne ressentiraient aucun effet. Pour le cannabis, c’est la même chose. C’est un peu comme si on avait du pot dans le cerveau. »

Photo : Karine Bénézet

Stéphane Potvin souligne également que la dépendance est due au « système de récompense du cerveau, celui qui fait que les gens développent des problèmes de consommation. Pour que les gens aiment une substance, il faut que cette dernière agisse sur le cerveau, mais il y a une deuxième condition très importante. La substance doit activer le système de récompense. Et l’hormone fondamentale est la dopamine. Quand vous prenez des alcools et des drogues, ça va produire une libération de dopamine dans le système de récompense. Et ça semble être l’espèce de dénominateur commun à toutes les substances. Le cannabis ne le fait peut-être pas autant que la cocaïne, mais ça semble expliquer pourquoi les gens développent des problèmes de dépendance. Tout n’est pas dû qu’à ça, mais c’est un facteur important. »

Le cannabis déclenche-t-il la schizophrénie ?

Le cannabis est une substance très complexe qui agit sur un système, le cerveau, dont le fonctionnement est également très complexe. « En santé mentale, établir des liens de causalité est difficile, explique Stéphane Potvin. Dans le cas du cannabis et de la schizophrénie, que sait-on ? On sait que les gens atteints de schizophrénie sont plus enclins à déclencher des problèmes de consommation que la population en général. Les chiffres varient, mais grosso modo on parle de 30 % contre 5 à 10 % dans la population en général. Si vous fumez du cannabis, vous êtes plus à risque de développer des symptômes qui s’apparentent à la schizophrénie tels que la méfiance, les phénomènes hallucinatoires. On voit souvent des gens qui arrivent à l’hôpital à cause d’épisodes psychotiques, suite à une consommation. »

Il ne faudrait pas s’imaginer que le cannabis, à lui seul, mène à la schizophrénie. Or si vous êtes vulnérables, le cannabis peut devenir le facteur déclencheur.

L’un des éléments actifs du cannabis est le tétrahydrocannabinol, plus connu sous le nom de THC. C’est cette substance qui est la principale responsable du déclenchement de psychoses dites toxiques. Après, est-ce que ça cause la schizophrénie ? « Pas forcément. Vous pouvez très bien déclencher la schizophrénie sans avoir consommé. Il y a probablement une relation qui va dans les deux sens. Mais il ne faudrait pas s’imaginer que le cannabis, à lui seul, mène à la schizophrénie. Or si vous êtes vulnérables, le cannabis peut devenir le facteur déclencheur », indique M. Potvin.

« Alors la question à un million, est : c’est quoi cette vulnérabilité ? On a des pistes, mais rien de poussé pour l’instant. Les antécédents familiaux, des traits de personnalité qui s’apparentent à des pensées magiques sans avoir pour autant une schizophrénie, une tendance à être un peu retiré socialement ou à avoir un inconfort dans les relations sociales, tous ces traits peuvent laisser penser que les personnes sont plus à risques. Des chercheurs réfléchissent aussi à la question génétique. Le stress aussi joue. On n’est peut-être pas tous égaux face aux effets qui s’apparentent à de la psychose. » Autrement dit, fumer un joint dans sa vie ne déclenche pas forcément la schizophrénie.

Il y a au moins une soixantaine de substances dans le cannabis. Ce sont d’autres cannabinoïdes. Mais celui qui donne l’impression que le temps est ralenti, que l’on va être plus créatif est le THC. « Parce qu’il agit sur les récepteurs dans le cerveau. Le THC, c’est la clef, et les récepteurs la serrure. Une molécule peut se comporter comme un bloqueur ou comme un activateur de récepteurs. On appelle ça un agoniste. Certaines molécules sont un peu molles pour activer les récepteurs. On les appelle des agonistes partiels. Le THC en est un. C’est pour ça que c’est une substance imprévisible », indique Stéphane Potvin.

Peut-on parler d’effets positifs de la consommation de cannabis ?

Est-ce que le cannabis n’a que des effets néfastes ? « Évidemment que non, sinon les gens ne le consommeraient pas. Il y a le plaisir, qui prend plusieurs formes. L’effet euphorisant, les fous rires, des phénomènes intéressants comme le fait d’écouter une tune qui devient plus attrayante en état d’intoxication », précise Stéphane Potvin.

De plus en plus, la prise de cannabis à des fins thérapeutiques gagne l’intérêt public. Il est donc possible de se faire prescrire du pot. Mais comme le souligne Chantal Cloutier, « il s’agit en théorie d’une solution de dernier recours pour soulager les douleurs chroniques, comme chez les patients atteints d’un cancer. Pour ceux qui vivent avec un trouble psychotique ou une schizophrénie, le cannabis a également des répercussions sur leur médication, certains d’entre eux continuent de consommer malgré leur problème de santé mentale. »

Mélanie Caouette informe pour sa part que « pour les gens qui ont un problème de santé mentale, consommer du cannabis va exacerber leurs symptômes. Donc plus de délires, plus d’hallucinations, parce que les médicaments sont comme des protecteurs et le cannabis peut annuler cet effet. » Chantal Cloutier ajoute que « même si la personne ressent un bien-être, ressent les effets recherchés, ça ne règle pas les causes de son mal-être. Puis, on parle beaucoup des effets sur la santé mentale, mais moins sur la santé physique alors que le cannabis aussi peut, par exemple, provoquer le cancer. »

Photo : Thomas Morris

Si la légalisation envoyait un message de banalisation, là, on parlerait de déresponsabilisation.

Et la légalisation dans tout cela ?

« Pour l’alcool, il existe une quantité recommandée. Par contre pour le cannabis, il n’y a pas de recommandations de ce qu’est une quantité raisonnable. Il y a des inconvénients à la légalisation. Par exemple, ça pourrait augmenter le nombre de psychoses toxiques, mais du côté judiciaire, il y a aussi des bonnes raisons objectives à la légalisation, notamment pour les gens qui ont des casiers judiciaires pour des petites consommations. On peut aussi parler du fait que la substance rapporte présentement au crime organisé tant que c’est illégal. Par contre, si la légalisation envoyait un message de banalisation sans que des choses soient faites pour les gens qui ont des troubles psychiatriques, là, on parlerait de déresponsabilisation », estime le chercheur.

Si le cannabis est une drogue de consommation courante et peut-être l’une de celles qui provoquent le moins de psychoses, certaines autres substances comme les cannabis de synthèse font l’objet d’une attention plus particulière. On parle ici du K2, du Spice ou encore du Yucatan Fire, venus tout droit des États-Unis et autorisés légalement à la vente.

Ces substances sont en effet vendues dans des magasins de produits naturels sous forme d’encens ou encore d’engrais. Seulement, et comme le précise Mélanie Caouette, « si tu demandes aux vendeurs, ils peuvent t’expliquer que si tu le fumes, tu vas avoir les effets du cannabis même si ce ne sont pas tout à fait les mêmes substances. Ça peut aussi causer des psychoses, mais comme ils ne contiennent pas de THC, on ne peut pas détecter la présence de la substance dans les analyses d’urine ou de sang. »

Lectures suggérées

Drogues : Savoir plus, risquer moins – Le livre d’information, Centre Qc Lutte aux dépendances, 262 pages, décembre 2014

L’Injecteur, journal écrit par et pour les personnes utilisatrices de drogues par injection et inhalation, distribué gratuitement

Sites internet

www.linjecteur.ca
www.drogue-aidereference.qc.ca
www.sante.gouv.qc.ca