Assis à la terrasse du café Le Club, coin Roy et Saint- Denis, Michel Faubert hoche la tête. Oui, les contes, les légendes et les complaintes forment des mondes mystérieux. Des histoires dans l’Histoire. Par un dernier passage sur la scène montréalaise de la Cinquième Salle le 3 décembre prochain, le passeur de mémoire honorera l’art de la parole dans Le chant du silence. Ce spectacle qui tourne depuis 2019, dont la dernière représentation a été retardée par la pandémie, s’est révélé l’excuse parfaite de se trouver en tête à tête avec celui qui transmet le patrimoine ancestral du folklore parlé et chanté depuis plus de 40 ans.
Un art de la parole
« Quand j’étais petit garçon, un conte, c’était une histoire d’auteurs inconnus, qui commençait par “Il était une fois” », explique Michel Faubert. Ce récit, situé dans l’imaginaire, se transmettait de génération en génération. Enfin, à l’origine, car aujourd’hui, « cet art est beaucoup plus vaste. » Il s’est diversifié jusqu’à devenir « un art de dire ».
À la frontière du réel, on retrouve la légende. « Si tu ne fais pas tes Pâques pendant sept ans, tu risques de te transformer en animal… En loup-garou », illustre le conteur pour expliquer ces histoires liées à d’anciennes croyances qui entretiennent le doute de celui qui les écoutent.
Et qu’en est-il de la complainte ? Ce genre pour lequel le passeur d’histoires, également rockeur dans l’âme, nourrit une affection particulière depuis ses débuts. « Si l’on parle de récit de paroles, on élimine la complainte qui est une forme de chanson », explique-t-il. Pourtant, c’est à ce répertoire qu’il doit en bonne part sa notoriété: avec ses albums Maudites mémoires en 1992, La récompense, en 2000, son groupe Les charbonniers de l’enfer, entre autres créations et collaborations.
Dark
À Montréal, fraîchement sorti de sa campagne rigaudienne, Michel Faubert commence à s’imprégner de ce registre chanté, médiéval et grave : « J’allais voir les gens un peu partout pour récolter ces chansons qui parlaient de la mort, parfois de meurtre. » En parallèle de ce travail de moine bien connu, le jeune Faubert évoluait dans un monde rock, un peu « obscur », décrit-il.
Dark même, pourrait-on dire ?
Il acquiesce. Les sombres émotions de ces chansons «dramatiques», sans être «larmoyantes» résonnaient chez lui. Encore aujourd’hui; parce qu’elles sont comme «des tableaux qui nous permettent de visualiser et de nommer des choses dont on ne parle pas dans la vie » et qu’« il y a de la beauté là-dedans ».
C’était dans les années 90. Déjà, les Québécois étaient réputés préférer le plaisir à la tristesse, la conciliation à l’affrontement. Michel Faubert, lui, aimait les complaintes, des groupes comme Bauhaus et fréquentait les Foufounes électriques (bar-spectacle alors bien différent de ce qu’il est aujourd’hui). En ce temps-là, arriver avec un répertoire aussi dark que ces chants bordés de punk-rock, aurait eu raison de l’artiste si elles n’avaient pas été « pigées » dans la mémoire reconnue et applaudie du patrimoine vivant. « Si j’avais écrit tout ça moi-même, j’aurais été barré, je serais resté underground et je n’aurai pas eu la notoriété que j’ai. »
Les histoires dans l’Histoire
À partir des années 70, les vieux contes et légendes retrouvent leurs voix, malgré des habitudes de consommation de masse déjà bien installées, qui uniformise la culture, et le petit écran des chaumières qui, selon Michel Faubert, a « eu une incidence certaine sur l’art du conte ».
Dans cette conjoncture tout de même favorable, le conteur aurait pu s’inscrire en art et tradition populaire à l’Université Laval après son cégep. Mais c’est finalement en histoire qu’il poursuivra, à l’Université du Québec à Montréal. Heureusement d’ailleurs, car c’est par cette éphémère aventure de trois semaines, qu’il s’apercevra rapidement que « Dans le fond, ce qu[il] aimai[t] dans l’Histoire, c’ était les histoires ».
Il lâche alors ses études et s’immisce dans le milieu traditionnel, d’abord par le violon. « J’ai commencé à jouer dans des groupes de danse avec des calleurs, j’ai fait une tournée en France avec Philippe Bruneau, un accordéoniste légendaire qui m’avait choisi comme violoneux… je ne sais pas pourquoi. » Pour autant, ne lui demandez pas de se présenter sur scène l’archet à la main. « J’ai été violoneux, mais je n’en joue plus », affirme celui qui aimait les jam sessions, mais que l’idée de monter sur les planches stressait inlassablement.
À l’inverse de l’apparence décontractée qu’arbore le conteur en représentation, il se décrit comme « quelqu’un qui court, qui est énervé et qui, comme tout le monde, en fait beaucoup trop.» Mais sur scène, l’homme se transforme et devient conteur ou chanteur de complaintes: « une autre personne, comme il dit, remplie de quelque chose plus grand que [lui] et qui [lui] fait du bien ! ». Des paroles teintées de sacré d’un auteur pas religieux pour deux cennes…