Je connais un gars, une vague connaissance, mais qui, la dernière fois qu’on s’est rencontrés, était vraiment démonté. Je l’ai vu arriver de loin tellement il fulminait. Sans me saluer, il me lance : «J’me peux pus ! J’viens jusse d’apprendre que Superman est bi !».
Je lui réponds: «Ah ben, tu me l’apprends, mais… ça m’fait pas un pli.»
«Woyons don’ ! ça s’peut-tu d’ousse que l’monde s’en vont ?» À travers deux-trois exclamations et gesticulations très énervées, je comprends que c’est pas de Clark Kent alias Superman dont il me parle, mais bien de son fils, Jon Kent, qui a dévoilé sa bisexualité dans une bande dessinée de DC Comics.
« J’ irai pas voir ce film-là certain ! », me dit le gars. D’après moi, il ne lira pas le livre non plus, parce que je doute de sa littératie. Facque, je choisis d’y aller avec diplomatie. Et de ne pas lui dire tout de suite qu’il y a au moins une dizaine d’autres personnages de Marvel ou de DC LGBTQ+ depuis un bon moment déjà.
Aussi, je me suis rappelé que c’était le même gars qui avait capoté sa vie quand la compagnie Hasbro avait «dégenré» Monsieur Patate plus tôt cette année. Le même gars qui avait fait la danse du bacon quand Looney Tunes avait retiré Pépé le Pew d’un de leur film. Je trouve que c’est beaucoup d’émo- tions pour des BD qu’il ne lira pas, des jouets qu’il n’utilise pas ou des p’tits bonhommes qu’il ne verra jamais. J’ai vraiment envie de lui demander… mais t’as quel âge ?
Si à travers des millions d’œuvres de fiction il lui suffit d’une seule se terminant par : «Les princes charmants se marièrent, furent heureux et adoptèrent plein d’enfants», pour qu’il fasse le tour des tribunes les baguettes en l’air en demandant d’un air sévère : «Woyons don’ ça s’peut-tu d’ousse que l’monde s’en vont ?»… je m’inquiète pour lui. Peut-être essaie-t-il de me dire quelque chose ?
Probablement qu’il voudrait lui aussi avoir un super héros qui lui ressemble, à qui s’identifier. Tiens, pourquoi pas:
Superbacon! Un héros superfragile qui deviendrait superfâché dès que quelque chose quelque part change pour quelqu’un, mais… sans que ça ne le touche ou ne le concerne. Dès que ça ne parle pas de lui, de sa personne et sa réalité, il se pitcherait dans les airs en criant tel un Ovide Plouffe pour que toute la ville entende : «Y a pu de place nulle part pour toutes les hommes blancs hétérosexuels du monde entier !!!» Et là, il s’effouèrerait à terre et ferait le bacon au milieu de la place en sanglotant : «La dictature des radicaux non genrés et son idéologie destructrice veulent effacer l’Histoire de la civilisation occidentale en émasculant ses membres les plus virils avec le drapeau de la diversité ! Woke ! Wokisme ! WUQAM !!! WAaaaargh !!! »
Ça, c’est un superhéros qui lui plairait.
En attendant, je vais le laisser parler tout seul et se défâcher. Si jamais ça arrive un jour, je vais lui parler de Stan Lee, le père fondateur d’à peu près tous les superhéros modernes. Si vraiment il aime à ce point les œuvres de fiction du genre, il sera sûrement fasciné par ce que disait Stan à propos de ses créations : «Même s’ ils ont des superpouvoirs, ils doivent être crédibles. Ce qu’ ils font doit être ce que n’ importe quelle personne normale ferait dans une telle situation».
Et ce que les personnes normales font, c’est justement de créer des jouets, de la fiction et des superhéros qui nous aident à prendre conscience des différences des autres, à les accepter et à permettre à tous les enfants de s’identifier à leur personnage favori.
Pour Stan Lee, le plus grand pouvoir d’un superhéros est son humanité. Et le message derrière tous ses personnages, au fond, c’est que tout le monde peut-être un superhéros.
Alors, si malgré tout cela Superbacon continue d’être superfâché dès qu’il voit quelqu’un de différent et de hurler: «Woyons don’ ça s’peut-tu d’ousse que l’monde s’en vont ?»
Eh bien j’espère sincèrement que ce ne sera pas à la même place que lui.