La culture peut-elle survivre au capitalisme?

Durant le dernier temps des Fêtes, l’excentrique et réputée artiste Klô Pelgag, figure incontournable de la musique alternative québécoise, a participé avec d’autres musiciens à une publicité pour la multinationale Coca-Cola en hommage à Jean-Pierre Ferland.

Cette collaboration peut sembler surprenante tant ce qu’incarne l’artiste – l’originalité, la liberté, l’absence de compromis artistique – et la compagnie – le capitalisme pur et dur – paraissent à l’opposé.

En entrevue avec L’Itinéraire, Klô Pelgag décrit cette situation comme étant malheureusement –inévitablement– très représentative et symptomatique de ce qui se passe en ce moment dans le domaine culturel.

Subvention en chute, concessions en hausse

« Je ne suis pas fière de ça, confie-t-elle, mais c’est notre réalité maintenant. J’avais besoin d’argent, comme tous les autres que tu vois dans la pub. »

La musicienne nous raconte qu’elle ne connaît pas beaucoup de collègues artistes ayant reçu des subventions dans les dernières années pour produire leur musique alors qu’ils étaient plusieurs à en recevoir auparavant. Elle est convaincue que les occasions de faire financer ses projets seront de plus en plus rares. « Ça fait que peut-être qu’il y a des gens qui vont accepter de faire des choses qu’ils n’auraient pas accepté de faire avant. »

Elle-même avoue qu’elle n’aurait pas accepté de faire cette publicité il y a quelques années, alors qu’elle recevait plus de subventions, mais aussi qu’elle « avait moins peur du futur ».

« Je suis anxieuse aussi comme personne. Je ne sais pas si tu as remarqué en écoutant ma musique, rigole-t-elle. Pis c’est un milieu anxiogène aussi. Tu ne sais rien de ce qui s’en vient. »

Car Klô Pelgag ne tient pas le succès qu’elle obtient depuis une décennie pour acquis.

« Ce sur quoi tu as le contrôle, c’est ce que tu crées, ce que tu essaies de faire le plus honnêtement possible. Après ça, ce sont les gens qui décident s’ils continuent d’aimer ça, s’ils ont encore un intérêt pour ça. Il n’y a rien d’acquis. Je pense que c’est une bonne chose de se sentir ainsi parce que ça fait que je vais toujours faire de la musique que moi, je trouve bonne, puis je vais toujours essayer de me mettre au défi pour faire la meilleure chose possible. Or psychologiquement, ce n’est pas facile de se sentir comme ça tout le temps. »

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Les artistes face aux géants du capitalisme

Bref, la décision de participer à la publicité de Coca-Cola a donc été un grand débat éthique pour l’artiste. Ce qui l’a réconfortée dans son choix : se dire qu’elle volait Coca-Cola. « Donne-moi ça. Je vais en faire bon usage. Je vais le réinvestir dans ma musique », se disait-elle.

De toute façon, être ultraéthique en musique est devenu très difficile aujourd’hui, à une époque où les hyperpuissantes plateformes de streaming et de réseaux sociaux dominent, où les salles de spectacles et les scènes de festivals portent les noms de banques ou de multinationales.

« Je trouve ça dommage, je trouve ça triste, mais c’est un système, c’est la société qui est construite comme ça », se désole-t-elle.

Contre les géants, les artistes ont peu de pouvoir. « Moi, si je quitte Spotify demain matin, tout le monde s’en fout. Ça n’a aucun poids. » Elle rappelle l’exemple de Neil Young qui est récemment retourné sur Spotify après avoir boycotté la plateforme pendant deux ans, voyant le peu d’impact que son boycottage pouvait avoir.

Surtout, l’hégémonie des plateformes est si grande que si les artistes militants décident d’en retirer leur musique, cette dernière ne sera simplement presque plus entendue. Et s’ils décident de se retirer des réseaux sociaux de META, ils perdent leur principale façon de faire leur promotion, considérant que les médias culturels n’ont plus du tout la portée qu’ils avaient auparavant.

Alors, pour Klô Pelgag et ses collègues artistes, les choix éthiques doivent se faire ailleurs, dans des circonstances dans lesquelles ils ont plus de contrôle. « Comment on fait notre épicerie, notre degré de surconsommation, comment on se déplace, etc. »

Vous venez de lire un article de l’édition du 15 avril 2025.
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