La Ville de Montréal abandonne la révision des règlements municipaux propices à la surjudiciarisation des personnes en situation d’itinérance : un « acte de trahison » pour les organismes communautaires en perte de confiance. 

Après huit années de concertation avec le milieu communautaire, la Ville de Montréal a mis fin à sa démarche de réviser certains règlements municipaux jugés disproportionnés à l’encontre des personnes en situation d’itinérance. Pour les organismes en défense collective des droits impliqués dans cette démarche, cette décision est une véritable « trahison ».

Le 17 février dernier, la mairesse Valérie Plante a annoncé, dans une lettre adressée aux membres du comité de révision, qu’elle suspendait les travaux en raison du manque de consensus au sein des instances municipales concernées. « Je vous assure que le manque de consensus ne vient pas du milieu communautaire », précise fermement Annie Savage du Réseaux d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM).

Dépénaliser et déjudiciariser

Depuis 2017, à l’initiative de la Ville, plusieurs organismes communautaires participaient à une table de travail visant à abroger ou modifier certains règlements municipaux sources de profilage racial et social. Dormir sur un banc de parc, émettre un bruit audible ou flâner dans l’espace public ne devrait pas être l’objet d’infractions réglementaires, selon les groupes qui œuvrent auprès des personnes en situation d’itinérance. Ces règlements pénalisent et judiciarisent inutilement les personnes marginalisées, selon le communiqué de presse émis par les groupes communautaires, après avoir pris connaissance de l’abandon des démarches par la Ville. La révision de ces règlements faisait partie des 31 recommandations formulées par l’administration municipale dans le cadre du rapport de la consultation publique de 2017.

Une décision perçue comme politique

La semaine dernière, le RAPSIM, accompagné de six autres groupes communautaires, a vivement critiqué l’administration Plante pour cette décision survenue dans un contexte électoral où la pression est forte pour « régler » la question de l’itinérance. « C’est une décision politique. La lettre indique que le contexte actuel n’est pas propice à un changement des règlements municipaux. On nous disait la même chose pendant la pandémie. Il faut croire que le contexte parfait n’existe pas », déplorait Annie Savage. Elle rappelle également que la Ville invoque souvent le manque de soutien provincial en matière d’itinérance pour se déresponsabiliser, mais qu’elle n’intervient pas quand elle en a la possibilité.

Une perte de confiance palpable

La décision de mettre fin à la révision des règlements a exacerbé la méfiance du milieu communautaire envers les engagements de la Ville. « Dès le début des travaux en 2017, nous redoutions de consacrer du temps, de l’énergie et des ressources à un processus qui n’aboutirait pas, se souvient Annie Savage. Tout au long, on nous a rassurés du côté municipal, promettant de faire aboutir cette démarche. Il est clair aujourd’hui que l’engagement n’a pas été respecté. » Cette rupture a érodé la confiance des groupes de défense des droits envers une administration qui s’était pourtant engagée – et faite élire – sur la base de politiques sociales progressistes, estime-t-elle.

L’itinérance : un coût élevé pour la société

Entre 2012 et 2019, selon un rapport de l’Observatoire des profilages, les 50 727 constats d’infraction émis à l’encontre des personnes en situation d’itinérance ont généré des amendes totalisant 17 millions de dollars. Le travail policier nécessaire pour émettre ces contraventions a, de son côté, coûté 1 million de dollars en salaires et ressources. « Et tout cela engorge le système de justice, entraînant des dépenses publiques exorbitantes », conclut Annie Savage.

Inscrivez-vous à l'infolettre

*Lisez notre dossier complet sur l’intervention policière auprès des personnes en situation d’itinérance, à paraître le 15 mars