Valérie Beaudoin met en garde contre une offensive conservatrice
Depuis l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, les droits des femmes sont sous pression. Valérie Beaudoin, chercheure associée à l’Observatoire sur les États-Unis et chroniqueuse spécialisée en politique américaine, dresse un tableau préoccupant des mesures actuelles et des projets futurs visant à restreindre les acquis féminins en matière de santé reproductive, d’égalité professionnelle et de liberté personnelle.
Des attaques contre l’avortement et la contraception
Depuis que Trump est arrivé au pouvoir, on observe une remise en question systématique des droits reproductifs des femmes. Une des premières initiatives de son administration a été de tenter de geler les subventions fédérales pour vérifier si elles finançaient des programmes pro-avortement, explique Valérie Beaudoin. Cette tentative visait des milliards de dollars destinés à des ONG et à des programmes sociaux. Bien que ce gel ait été suspendu, il révèle une volonté claire de limiter l’accès à l’avortement.
Le jour de l’entrevue, l’une des menaces les plus imminentes, estimait la chercheure, concernait la pilule abortive. La Cour suprême a récemment été saisie pour déterminer si cette pilule pouvait être contestée juridiquement. « Robert Kennedy Jr., [devenu] secrétaire à la Santé, a[vait] affirmé que Trump lui avait demandé d’évaluer sa dangerosité. Leur objectif semble être de la rendre illégale, alors qu’il existe des médicaments bien plus risqués sur le marché, comme le Viagra », déplore Mme Beaudoin.
La suppression de l’envoi de la pilule par la poste est également sur la table, ce qui réduirait considérablement l’accès à cette méthode de contraception d’urgence.
Une offensive idéologique soutenue par la religion
Valérie Beaudoin souligne l’importance des lobbys religieux dans cette croisade contre les droits des femmes. « Les Américains n’ont pas eu de Révolution tranquille comme au Québec. La religion reste extrêmement présente dans la vie politique. De nombreux leaders religieux appuient Donald Trump et militent pour la suppression totale de la contraception. » Selon elle, leur objectif ultime est clair : une société où les femmes sont ramenées à un rôle domestique traditionnel.
Cette pression religieuse pousse certaines femmes à des mesures radicales. Dans les États où les restrictions sur l’avortement sont fortes, de plus en plus de femmes choisissent la ligature des trompes pour éviter de se retrouver sans solution en cas de grossesse non désirée, ajoute-t-elle.
Bien que Trump ait souvent changé de position sur la question de l’avortement, il a récemment déclaré qu’il ne soutiendrait pas une interdiction fédérale totale. Ce serait de toute manière politiquement irréalisable, estime Valérie Beaudoin. Toutefois, certains membres du camp républicain continuent de militer activement pour une telle mesure.
Le Project 2025 : une feuille de route conservatrice
Au moment d’écrire ces lignes, un document de 900 pages, baptisé Project 2025, avait été rédigé par le groupe conservateur The Heritage Foundation. « Ce projet, véritable liste d’épicerie pour une administration Trump, prévo[yait] notamment de restreindre l’accès à l’avortement, de supprimer les programmes de diversité, d’équité et d’inclusion (DEI) dans toutes les agences fédérales, et de promouvoir une éducation sexuelle axée uniquement sur l’abstinence », précise Mme Beaudoin. D’ailleurs, les programmes DEI sont aujourd’hui supprimés.
Si Trump disait durant la campagne électorale ne pas être associé à ce groupe, les politiques qu’il met de l’avant maintenant s’en rapprochent drôlement, souligne l’experte, en mentionnant notamment le décret pour supprimer les programmes de diversité, d’équité et d’inclusion qu’il a signé dès son arrivée à la Maison blanche.
Ces mesures pourraient avoir des conséquences directes sur l’égalité professionnelle. Sans programmes de diversité et d’équité, les femmes risquent d’être encore plus marginalisées dans les entreprises. Le manque d’investissement dans les congés de maternité et les services de garde contribue déjà à pousser les femmes vers des emplois moins bien rémunérés, voire hors du marché du travail, avertit-elle.
Ces idéologies conservatrices promeuvent un retour à la famille traditionnelle, avec une place prépondérante pour la femme au foyer. Cette vision est alimentée par des discours sur la baisse de la natalité, comme celui d’Elon Musk, qui évoque la nécessité de prendre des mesures face à cette situation. Le bras droit de Trump va même jusqu’à suggérer que les non-parents devraient perdre certains droits civiques. Si ces idées venaient à se traduire en politiques concrètes, cela pourrait accroître la pression sur les femmes, en les décourageant de poursuivre une carrière professionnelle et en amplifiant leur charge mentale, croit Valérie Beaudoin.
Des garde-fous institutionnels, mais une vigilance nécessaire
Le pouvoir présidentiel de Donald Trump, bien que significatif, connaît des limites. Par exemple, il peut imposer des décrets comme il l’a fait pour modifier les programmes de diversité, d’équité et d’inclusion, qui ne nécessitent pas d’approbation législative.
Cependant, pour des changements plus structurels, comme interdire l’avortement ou restreindre l’accès à la contraception, il fait face à plusieurs garde-fous. « Le Congrès, les cours de justice et même des membres de son propre parti jouent un rôle clé pour modérer ces ambitions », souligne Valérie Beaudoin. En outre, les référendums constituent un contre-pouvoir important : certains États ont protégé le droit à l’avortement grâce à la mobilisation citoyenne. Des organisations pro-choix s’activent actuellement pour recueillir les signatures nécessaires afin de convoquer de nouveaux référendums. Même si un Congrès d’État adopte une loi restrictive, les gouverneurs peuvent également y opposer leur veto, renforçant ainsi cette résistance institutionnelle.
Face à la menace, la résistance s’organise. Des groupes comme Planned Parenthood et des élus progressistes se mobilisent pour défendre les droits des femmes. Des marches et des pétitions se multiplient. « Les femmes réalisent qu’elles doivent être conscientes de ce qui se passe et agir », souligne la chercheure.
Toutefois, il y a une limite ; l’économie reste un facteur déterminant. « C’était le facteur numéro un pour élire Trump, même chez les femmes », ajoute-t-elle.
Une influence qui traverse la frontière
L’impact de ces mouvements conservateurs se fait déjà sentir au Canada. « L’an dernier, la première marche pour la vie a eu lieu à Québec », note Valérie Beaudoin. Des groupes religieux canadiens sont inspirés par leurs homologues américains et commencent à gagner en influence.
Valérie Beaudoin ne cache pas son ressenti face à cette situation. « Personnellement, le dossier du droit des femmes et le recul sur l’avortement me touchent et me choquent profondément. C’est inacceptable et cela vient heurter mes valeurs. » Elle confie également que ce sujet est particulièrement difficile à couvrir en tant que journaliste. « Je compatis énormément. Les témoignages de femmes sont souvent bouleversants, c’est un des dossiers les plus durs à traiter. »
L’avenir des droits des femmes aux États-Unis reste incertain, mais une chose est claire : la vigilance et l’action sont plus nécessaires que jamais.
Vous venez de lire un article de l’édition du 1er mars 2025.